Prima : le nouvel entrant de la piz’ parisienne premium

La restauration chez Jean-Stéphane de Saulieu, c’est un truc qui vient de loin, de sa famille auvergnate, et un avec lequel on ne rigole pas. Voilà un an, l’ancien associate partner de Bain a tiré un trait sur 10 ans de carrière dans le conseil pour un virage pro à 180 degrés. Il est, depuis le début de l’année, le gérant d’une pizzeria haut de gamme aux Batignolles à Paris. Un modèle qu’il compte vite répliquer. Il explique à Consultor les raisons de cette mini-révolution professionnelle – dans laquelle le background conseil sert à tout… et à rien à la fois !

Benjamin Polle
17 Nov. 2023 à 05:00
Prima : le nouvel entrant de la piz’ parisienne premium
© Prima

Jean-Stéphane de Saulieu a le profil type du consultant en stratégie : bonne prépa (Stanislas à Paris), bonne école de commerce, bon cabinet.

À une exception près dans son cas : en parallèle de son parcours à l’ESCP, il passe le barreau et devient avocat. « Sans raison, j’avais le profil du bon élève et avocat d’affaires, ça me faisait rêver », s’amuse a posteriori ce garçon jovial qui parle sans détour et à 1 000 à l’heure.

Mais, rapidement, c’est la douche froide. « J’ai déchanté. La culture féodale des cabinets d’avocats d’affaires avec leurs associés tout-puissants, c’est particulier », se rappelle-t-il.

Comme beaucoup de jeunes bien diplômés qui ne savent pas par quoi commencer, il jette son dévolu sur la case renommée qui mène à tout : le conseil en stratégie. Il ne connaît pas particulièrement le marché, il accepte une offre chez BearingPoint et vogue la galère.

L’entrée chez Bain

Cinq années durant, il se frotte à de la transformation ou à l’accompagnement de plans stratégiques. Tout en observant, avec une certaine frustration, qu’il intervient plutôt en aval d’autres cabinets, et plutôt pour des directions de business units que pour des directions générales ou des comex.

Pouvoir se piquer des enjeux stratégiques plus globaux des organisations dans lesquelles il intervient le travaille au corps. Il est alors manager chez BearingPoint. C’est justement à ce moment-là qu’un chasseur de têtes l’approche pour intégrer le BCG ou Bain.

Ce sera finalement Bain. Où il rentre au grade de consultant : son expérience chez BearingPoint est valorisée, mais ne vaut que pour moitié dans l’échelle de Bain. S’en suivent deux rudes années. « On peut toujours se dire que du conseil reste du conseil. J’ai dû tout de même largement réapprendre le métier », se remémore-t-il.

La Ring fence : les 6 rudes mois d’initiation

Et réapprendre chez Bain, c’est d’abord faire de la due dil de manière ultra intensive – le private equity étant une des grandes spécialités du bureau parisien. C’est la période de la ring fence, comme elle est appelée. Pendant 6 mois, raconte Jean-Stéphane de Saulieu, « les nouveaux enchaînent due dil sur due dil », du nom de ces périodes de « 2 à 3 semaines » de revue d’entreprises vendues ou achetées par des fonds et dont il faut passer les modèles au peigne fin pour aider les investisseurs à se faire un avis.

La période est vue comme un sas d’acculturation expresse aux méthodos de Bain. Les nouvelles recrues y font leurs gammes : market sizing, évaluation de la concurrence, équations de marché…

Cette période passée, Jean-Stéphane de Saulieu saute dans une grosse mission pour Carrefour. Bain est alors un cabinet de conseil prépondérant du groupe de distribution. Un client important auquel Jean-Stéphane de Saulieu consacrera une bonne part de son temps de Bainee, collaborant au passage avec tous les partners retail du cabinet (Stéphane Charvériat, Grégoire Baudry, Jean-Charles Redon, Xavier Bersillon).

Il passe vite et bien les grades. Il devient case team leader, l’équivalent de manager aujourd’hui (voir notre étude sur les grades).

Un moment pivot à l’entendre : « Vous pouvez être un excellent consultant, mais un piètre manager, et un consultant passable et un bon manager. Personnellement, j’ai redécouvert le métier. On sort du delivery. Le but du jeu devient de gérer des équipes brillantes, faites de profils à gros potentiels, mais insecure et de faire le lien avec les partners dont il faut parallèlement comprendre le mode de fonctionnement. C’est un rôle charnière dans lequel certains pètent sous la pression justement parce qu’ils n’arrivent pas cadrer et lâcher suffisamment le delivery. »

La passion restauration revient à la charge

Bref, Jean-Stéphane de Saulieu kiffe son job et pourrait y faire carrière encore longtemps. Mais il y a ce truc en toile de fond auquel il repense de fois en fois. L’Auvergne, où il y a les traditions familiales et les vacances à chaque fois qu’il peut partir de Paris, son baccalauréat à Clermont-Ferrand, et une tradition profondément ancrée d’amour de la fourchette. « Je me suis toujours dit que je me lancerai dans un truc en lien avec la restauration et la nourriture en général », dit-il aujourd’hui.

Quoi ? Où ? Comment ? Lui qui est désormais associate partner de Bain ne sait pas par où commencer pour donner corps à son idée. Jusqu’au déclic. Son beau-frère à Bruxelles, Stefano Napoli, un ancien lobbyiste dans les arcanes de l’Union européenne qui en a eu marre de la vie de bureau, n’est autre que le fondateur de Pizza è Bella, une enseigne bruxelloise de pizza napolitaine élue meilleure pizzeria de Belgique.

La pizza napolitaine haut de gamme avec son beau-frère italien

Pif, paf, boum, aller-retour de Thalys, marché conclu : l’entreprise familiale va s’étendre à Paris, on verra pour l’Auvergne plus tard.

Tout s’accélère alors. Avril 2022, il informe Ada Di Marzo, la directrice générale de Bain à Paris, de son départ. Personne n’est ravi de voir un bon élément filer, mais une machine informelle de soutien à un projet qui semble lui tenir à cœur se met en route. « J’ai particulièrement apprécié leur réaction. Tout le monde a été super élégant », témoigne Jean-Stéphane de Saulieu.

Des partners suivent son projet, le voient à déjeuner pour en prendre des nouvelles. Grégoire Baudry le met en lien avec un autre ancien, Lionel Nabet, qui lui aussi a switché dans la restauration après son passage chez Bain.

La carte Bain joue aussi, tout comme sa « bonne fraise » et son réseau auvergnat dans la capitale, pour trouver les 350 000 à 400 000 euros nécessaires à l’ouverture du restaurant : une semaine après avoir présenté à la succursale du Crédit Agricole Auvergne à Paris un business plan léché façon cabinet de conseil, un prêt est accordé. « Je connais des gens qui ont essuyé 10 refus », compare-t-il.

Le « choc thermique » du passage à l’entrepreneuriat

Trouver un local, signer un bail commercial, boucler une charte graphique et chiader une déco de restau : pour tout le reste, la débrouille prévaut, qu’on soit passé par le conseil en stratégie ou non. Voir, estime l’entrepreneur, s’être habitué à un certain confort ou un type de prestation très intellectuelle peut même constituer un frein.

« Quand vous passez de meetings avec des dirigeants du CAC40 à des négos de trottoirs où les gens vous parlent de paiement sous le manteau en cash, ça peut faire un petit choc thermique », rigole-t-il au téléphone avec Consultor.

Dans son cas, la carte conseil en stratégie ne l’aidera en rien quand il perdra son bail et fera chou blanc pour trouver quoi que ce soit d’autre dans ses prix pendant 6 mois au point de songer à abandonner le projet.

Elle ne l’aidera pas non plus quand, fin prêt, Prima ne peut se lancer parce que le gaz n’arrive pas à la boutique et que GRDF ne met pas 4 semaines pour le rouvrir, pas 8, pas 18, mais 20 semaines ! Ce après que l’entrepreneur a dû faire des pieds et des mains jusqu’au bureau du maire d’arrondissement ! « On avait le four napolitain d’une tonne et demie, mais on n’avait pas le gaz », rit-il jaune à présent.

4,9 étoiles sur Google

Ces péripéties passées, le 1er juin 2023, c’est la bonne. Prima se lance au 103, rue des dames dans le 17e arrondissement. Sur un créneau bien spécifique : la pizza napolitaine gourmet. Vendues entre 22 et 28 euros la pizza, elles visent un public qui ne se satisfait pas de la pizza de quartier à 10 euros et veut quelque chose de plus sophistiqué.

Ici, le blockbuster c’est La Mano Di Dio, une pizza fumée servie « dans un nuage de fumée blanche », avec une crème de champignon, de la Provola fumée, du Guanciale et des pétales de truffe noire.

Six mois après l’ouverture, ce positionnement premium, en concurrence frontale avec Big Mamma, Tripletta ou encore Peppe Pizzeria, fonctionne. Les 35 couverts de Prima ne désemplissent pas, l’« Excel bien gaulé » mis sur pied par l’ancien Bainee pour le suivi de la gestion a les voyants au vert, et avec 170 avis sur Google, le patron se réjouit que sa note soit encore à 4,9 sur 5.

Essaimer à Paris puis dans les métropoles françaises

À présent, l’expérience et le réseau Bain pourraient à nouveau jouer. Car Jean-Stéphane de Saulieu ne veut pas en rester là. En septembre, un deuxième Prima doit ouvrir à Paris. L’objectif est d’en essaimer un tous les 6 mois, puis d’aller dans les grandes métropoles françaises. Mais peut-être pas Clermont-Ferrand où l’entrepreneur a ses doutes quant au succès d’une pizza à 25 euros.

Bain & Company
Benjamin Polle
17 Nov. 2023 à 05:00
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Adeline
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bain, bain and company, ancien, ex, alumni, pizza, pizzeria, restauration
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