"Personal Assistant" : ces mécanos qui font tourner l’usine consulting
De quelques-unes à plusieurs dizaines selon la taille des cabinets, ce staff de l’ombre encore essentiellement féminin se plie en quatre pour faire tourner la logistique très serrée de la vie des consultants.
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Un consultant en voyage n’a pas une minute à perdre. Au départ, sur son smartphone, tout lui a été préparé : VTC ou taxi pour aller à l’aéroport, préenregistrement sur le vol, billet dans les mails, visas éventuels, hôtels et salles de réunion à l’arrivée.
Idem des « dej », des afterwork drinks et des dîners : tout a été bordé. Et autour du bureau, tous les restaus sélects ont été identifiés. Lors d’un rendez-vous client ou prospect, on choisit celui qui sera le plus commode en fonction de l’adresse, on veille à ce que la cuisine serve de la viande ou des plats végétariens selon les goûts des consultants, ou qu’il y ait une rampe d’accès si des personnes à mobilité réduite sont conviées. Attention aux gaffes : réservation au mauvais nom ou restau finalement fermé…
Virtuoses du Pack Office
Surprise ! Tout ceci ne se fait pas tout seul, et les partners ne s’en occupent pas ou quasi pas. Par manque de temps, de débrouillardise ou par habitude d’un certain train de vie.
En coulisses, l’usine consulting a ses mécanos – enfin, ses mécaniciennes tant la profession reste ultraféminine : assistantes, assistantes exécutives, assistantes volantes, personal assistant (« PA »), selon le titre qu’on leur donne.
Leur background est souvent assez similaire. Elles sont diplômées d’un bac+3 ou d’un bac+4, d’un BTS assistante, d’une formation spécifique en assistanat de direction ou d’une licence d’anglais, l’anglais étant un prérequis absolu dans l’immense majorité des cabinets. McKinsey fait passer un test d’anglais et de logique pour le recrutement des assistantes. Elles sont des virtuoses du Pack Office, des Teams, Webex et autres Zoom. Elles maîtrisent sur le bout des doigts Concur, la solution SAP de gestion des notes de frais.
Des « calibres »
Deux profils existent ensuite : les consultantes plus juniors, staffées auprès d’une équipe de trois à cinq consultants, de grade plutôt junior elle aussi ; et les plus seniors qui, elles, assureront l’intendance d’un ou deux partners. Toutes les femmes qui nous ont répondu n’ont accepté de nous parler que sous couvert d’anonymat.
« Je suis rentrée à 40 ans, car le cabinet recherchait “un calibre” pour s’occuper de deux partners. À ce niveau, ils recherchent des profils qui pigent vite et qui sont capables de faire preuve de finesse pour comprendre les situations et pour parler aux clients », témoigne une assistante, longtemps en fonction au sein de l’un des MBB (McKinsey, Boston Consulting Group, Bain). « Un partnership est un comex géant dont chaque membre a une assistante, ou une assistante pour deux selon le volume d’activité de chaque partner », dit une autre qui a également longtemps évolué dans un MBB.
En interne, il arrive qu’elles se serrent les coudes, que les anciennes chaperonnent les nouvelles, qu’elles formalisent des clubs d’assistantes. Au-delà du seul consulting, il existe même des associations ou des fédérations, tels que le Club Cimarosa ou l’Agora des assistantes de dirigeants. Une représentante de l’Agora indique à Consultor qu’un bon nombre des adhérentes viennent du conseil en strat'. Voilà quelques années en arrière, Christine Huntzinger-Bagé, la « PA » de Charles-Édouard Bouée, l’ex-CEO de Roland Berger, en était par exemple un membre actif. Elle occupe aujourd’hui les mêmes fonctions pour le président du directoire des Galeries Lafayette.
Cadrer la relation assistante-partner
Quel que soit leur niveau de séniorité, leur mission, si elles l’acceptent (une partie du job est parfois pesant), « est de faciliter la vie de son boss. Dire oui à tout, tout en cadrant pour ne pas accepter tout et n’importe quoi », dit l’une. Pour ne pas tomber dans des trucs personnels exagérés comme ceux exigés par un certain nombre de CEO de grosses boîtes à leurs assistantes (voir le délicieux palais des vanités décrit par Capital.fr).
« Il y a probablement des partners qui n’ont pas des comportements exemplaires, qui sont stressés par les deadlines, la pression financière, sont aigris et répercutent sur leur assistante. Mais c’est aussi à elles d’avoir une attitude qui impose le respect », témoigne l’une de nos sources.
Pour les hommes assistants, pas de café ni de vaisselle à faire
Car des maladresses misogynes sont d’autant plus rendues possibles du fait que les partners restent très majoritairement masculins et les assistantes très majoritairement féminines. Quelques profils masculins feraient leur apparition, mais ils restent marginaux et avec des attributions un peu différentes. « On ne leur demande pas de faire le café ou de laver la vaisselle après les réunions », disent en chœur plusieurs des femmes interviewées.
Cela dit, les relations aux assistantes ne sont que très peu orientées tâches personnelles. Les partners sont souvent chez les clients ou en déplacement et côtoient finalement assez peu leur assistante.
« Les trucs perso sont très rares. Marginalement, il va s’agir d’appeler l’épouse pour un départ en vacances, ou le comptable pour la déclaration d’impôts – ce qui pour un partner dans le conseil en strat’ n’est pas forcément une petite affaire », s’amuse une des femmes interrogées.
Agenda : le gros du boulot
Peu de trucs hors fiche de poste, car les attributions de base se suffisent souvent à elles-mêmes. Duty number one de l’avis général : l’agenda, l’agenda, l’agenda !
« Les assistantes dans le conseil, c’est 80 % d’agenda. Elles deviennent des expertes du rendez-vous minuté, du Tetris permanent, passent leur temps à positionner, repositionner », dit Virginie Deryckx, la présidente fondatrice de Deryckx recrutement, cabinet de chasse de tête spécialisé dans l’assistanat de direction qui réalise depuis des années des missions pour des cabinets de conseil en stratégie.
« L’agenda d’un partner bouge tout le temps. En gros, il est busy de 9 h à 20 h sans espace libre. Il faut faire matcher les time zones, les consultants, les clients », résume une qui s’est tannée le cuir sur Outlook des années durant.
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« À la douane, ils nous ont fait passer par l’accès passeports diplomatiques »
Tâche archiclassique numéro deux : les voyages !
Tout un poème avec son lot de coquetteries à avoir bien en tête, comme au Sofitel de New York dont seuls certains étages disposent des plus belles chambres ou suites. Un partner parisien avait pu une fois se fâcher de ne pas avoir été booké aux bons étages.
McKinsey a par exemple ses interlocuteurs dédiés chez Air France avec qui les assistantes passent une bonne partie de leur temps au téléphone.
« Si j’envoie un partner à un dîner client à Düsseldorf, j’appelle l’assistante du client pour savoir quels sont ses restaus favoris, qui de toute façon sont à peu près toujours dans les mêmes corners dans toutes les grandes villes du monde », résume une assistante expérimentée.
Parfois, la complexité des déplacements monte d’un cran. Comme dans l’organisation dans un pays africain jugé à risques d’une conférence à laquelle plusieurs partners et un large staff de consultants d’un gros cabinet devaient assister, avec gardes du corps et rendez-vous avec des officiels. « À l’arrivée, on nous a fait passer par l’accès passeports diplomatiques à la douane. Je n’en avais pas demandé autant ! », se souvient l’assistante qui s’était chargée de l’organisation de ce voyage.
Autre situation cocasse, l’éruption du volcan Eyjafjöll en Islande en 2010 qui a perturbé le trafic aérien dans toute l’Europe. « Le jour de l’éruption, il n’y avait plus une seule voiture à louer en Europe ! On a fait revenir des partners à Paris depuis Nice, et même de Russie, par la route ! », dit la même source.
« Les plus jeunes consultants se la pètent »
Agenda, voyages… puis vient tout un menu fretin plus ou moins chronophage, plus ou moins attendu : mettre la dernière main à une présentation PowerPoint ou à un tableau croisé dynamique, traduire et relire certains documents, négocier avec les clients, leur mentir parfois, leur envoyer les factures, les relancer s’ils tardent à payer, organiser tel ou tel event, aider au déménagement à venir ou, dans les plus petits cabinets, faire un peu de marketing ou de recrutement.
Les assistantes peuvent aussi apporter de l’empirisme dans une vie d’entreprise sinon très marquée par l’entrisme des profils (mêmes prépas, mêmes écoles, mêmes niveaux sociaux, etc.). « Les partners souvent sont archicourtois et polis. Les plus jeunes consultants se la pètent, tout beaux, tout reluisants, du haut de leur HEC et de leurs voyages en business. Alors on les recadre plus ou moins gentiment, ce qui les fait grandir, redescendre sur terre, et ça arrange vachement les partners qui n’ont pas très envie de le faire », pousse une ancienne d’un MBB.
Des journées de 10 h et une rem’ de 60 000 euros ou plus
Au global, la charge de travail des assistantes peut être très dense, 9 h 30 - 20 h 30, même si elles sont aux 35 heures. « Le conseil en strat’ est un service premium. Si un client appelle à 18 h pour avoir un document le lendemain à 8 h, vous n’êtes pas là à négocier. Oui, parfois il y a des charrettes et des assistantes ont même des shifts nocturnes pour assurer ce genre de cas », dit une autre. Jusqu’à faire parfois des bourdes qui ne sont pas très bienvenues : « Une fois, j’avais passé un bon moment à caler une réunion entre partners et quelques minutes après le call mon boss me dit à travers la porte de son bureau : “je suis seul sur le call, c’est normal ?” J’avais oublié d’envoyer les invit’ aux autres personnes. Complètement débile. Mon boss a tourné les talons sans commentaire, j’ai recalé le point à plus tard. »
De gros horaires pour lesquels les assistantes sont bien rémunérées. « Chez McKinsey ou le BCG, cela peut aller assez loin, 60 000 euros annuels de fixe, auxquels s’ajoutent de l’intéressement et de la participation », estime Virginie Deryckx.
Autre forme de rémunération : une certaine culture d’entreprise propre aux cabinets anglo-saxons, à l’américaine, horizontale et stimulante. « C’est une excellente école de gestion des priorités, d’adaptation où on apprend à repartir tous les jours de zéro », juge Virginie Deryckx.
Quand une ancienne garde un souvenir ému du niveau des consultants qu’elle côtoyait tous les jours : « Cela commence par la personne de l’accueil qui avait fait Sciences Po et avait une maîtrise d’histoire sur le Moyen Âge. Quand on aime travailler avec des gens qui ont envie de travailler et pas passer des heures à parler du Top Chef de la veille au soir à la machine à café, un cabinet de conseil en stratégie est l’endroit parfait. » « Tout est pensé “efficace” : le cabinet n’hésitait pas à s’équiper des derniers logiciels, ce que je n’ai pas retrouvé dans d’autres entreprises ensuite », assure une autre ancienne d’un MBB.
Autre intérêt : les évolutions qu’offre ce job. Une de nos interlocutrices est devenue administratrice d’une practice du même cabinet à l’échelle internationale. D’autres vont occuper les mêmes fonctions dans d’autres entreprises aux marques connues (grandes banques, groupes de luxe). Pour elles, comme pour les consultants, l’effet booster de carrière de la strat’ peut jouer. Certaines, enfin, peuvent suivre leur partner quand ils changent de cabinet.
Malgré ces bons points, pour Virginie Deryckx, l’assistanat de partners dans la strat’ a perdu de sa superbe et attire moins que d’autres entreprises. « Avant la crise de 2008, c’était des sociétés que l’on pouvait très facilement vendre aux candidates, parce que des environnements porteurs, bien rémunérés. Maintenant, d’autres rémunèrent autant, et les assistantes aspirent à davantage de polyvalence, de liens, là où le conseil reste plus intangible, très cloisonné et feutré. Les cabinets les font moins rêver qu’une entreprise du luxe ou de cosmétiques avec un produit auquel on peut s’identifier facilement. »
A fortiori, le marché de l’assistanat serait archisaturé : chaque candidate recevrait autour de quatre ou cinq offres. Et celles provenant de cabinets de conseil en strat’ se retrouvent à présent plutôt en bas de la pile.
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