Éric Philippon, de stratège à philanthrope
Ancien consultant chez A.T. Kearney puis investisseur pendant vingt ans, Éric Philippon met son expérience à profit pour aujourd’hui diriger sa fondation FAMAE qui finance la transition environnementale.
Il parle de millions d’euros avec une facilité non feinte, qualifie les deals qu’il a faits dans sa carrière d’investisseur de « vachement marrants » et se dit profondément convaincu par le réchauffement climatique.
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« Les cabinets de conseil, c’était la sortie vers le haut après l’X »
À 52 ans, Éric Philippon, ancien consultant en stratégie chez A.T. Kearney, consacre volontiers son quotidien à sa fondation FAMAE, spécialisée dans le financement des green tech. « Parce qu’aujourd’hui on peut investir intelligemment dans un monde sans déchets, sans pollution. On est dans la zone rouge, la prise de conscience est réelle. »
Mais pour en arriver là, le chemin d’Éric Philippon n’était pas tout tracé. Diplômé de l’École polytechnique (1990), le jeune homme revient à Paris après avoir passé un an à San Diego (Cailfornie) « essentiellement pour faire du surf », s’amuse-t-il aujourd’hui.
Alors âgé de 26 ans — après un master à l'École nationale de la statistique et de l'administration économique et un semestre à l'University of California San Diego — il reçoit une proposition du cabinet A.T. Kearney. « Les cabinets de conseil, c’était la sortie vers le haut après l’X, explique-t-il. La voie pour les gens qui voulaient pédaler plus vite et le conseil en stratégie, la voie royale. »
Il choisit ce cabinet car le courant passe bien avec le dirigeant, qui était alors Jacques Tassel. « Un baroudeur » , se souvient-il. L’équipe est petite et il y a un côté « pratique » qui plaît à Éric Philippon. Pendant six ans, il suit les étapes traditionnelles : consultant, associate, manager.
Il part un an en Asie et un an au Brésil pour des missions d’organisation et de stratégie. Quelques missions le rapprochent de fonds d’investissement. « Et c’est là qu’un chasseur de têtes est venu me chercher », se souvient l’ancien consultant.
De stratège à capital-investisseur
« Fin 1998, je me retrouve donc à la Caisse des dépôts pour du LBO (leverage buy out) », avec la sensation d’avoir fait le tour du métier de consultant. « Je ne me voyais pas faire ça toute ma vie de toute façon. »
C’est là que l’entrain d’Éric Philippon pour l’investissement se déploie. « On a constitué un fonds de 1,6 milliard de francs, un gros montant pour l’époque. C’était assez marrant bien qu’en 1999, le LBO n'était pas très sexy », reconnaît l’investisseur, avec un franc-parler qui lui semble coutumier.
« On nous prenait pour des blaireaux car on investissait autant dans des boîtes d’ingénierie que de parking, dans les signaux hertziens ou l’immobilier. On a fait de super deals », reconnaît-il. Il restera à la Caisse des dépôts six ans et deviendra même membre du directoire.
Son équipe s’effrite mais Éric Philippon n’est pas prêt à s’arrêter là. Avec un collègue, il crée alors un fonds d’investissement. Une aventure qui durera deux ans. « On s’est ensuite rapproché de 123 Venture (aujourd’hui 123 Investment Managers) pour des petits investissements et on a développé la boîte. »
Là encore, l’investisseur énumère des « deals vachement marrants ». Et en dix ans, il grimpe rapidement les grades du private equity jusqu’à récupérer la direction générale de 123 Venture.
La prise de conscience
Et puis, en 2016, l’électrochoc. « Une crise de la quarantaine en retard » peut-être, ou « une évolution logique après un enchaînement d’événements ».
« Sur l’île d’Oléron où j'ai grandi, on allait nettoyer les plages avec les professeurs », se souvient-il. En 1999, une tempête ravage la maison de ses grands-parents, située au bord de plage. « On nous avait dit que cela n’arrivait qu’une fois tous les cent ans. Et pourtant, en 2010, c’était la même chose. »
L’époque dans laquelle il vit, l’accumulation des couches jetées lorsque ses enfants naissent au début des années 2000, les catastrophes naturelles l’amènent à vouloir faire quelque chose pour la planète. « Ça m’a tordu les tripes que mes enfants connaissent un monde merdique. J’ai cédé mes actions à mes associés, qui m’ont laissé partir tranquillement. »
Dans l’excitation de la COP21, la conférence internationale sur le climat tenue à Paris en 2015, Éric Philippon décide donc d’agir à son échelle et crée la fondation FAMAE pour soutenir les initiatives vertes. Sous la forme d’un concours, le but est de pousser des start-up ou des entrepreneurs à proposer des solutions environnementales, « à faire émerger des idées déjà existantes ».
En 2017, pour la première édition, Éric Philippon met un million d'euros sur la table pour la récompense du concours « parce que je suis convaincu qu’avec une grosse dotation, que ce soit une boîte à Manchester, une start-up à Besançon ou un mec au fin fond de l’Inde, ça va susciter un intérêt ». Et pour le quinquagénaire, ce n’est que le premier étage de la fusée. « L’ambition est de créer un deal flow pour lever un fonds d’investissement dans l’environnement à hauteur de 100 millions d'euros. »
Les compétences acquises dans le conseil toujours à l'œuvre
Les vingt ans d’expérience dans le private equity ne sont pas si loin. Le conseil, peut-être moins clairement, mais tout de même : pour convaincre, Éric Philippon avoue user de compétences acquises lors de son début de carrière.
« Je sais exprimer de manière claire mes idées. Ma confiance en moi et mon côté versatile, ouvert à tout sont des compétences que j’ai héritées du conseil. Quand il s’agit de présenter deux mois de missions devant des mecs du CAC40, il faut avoir confiance en soi. Quand il s’agit d’investir dans diverses entreprises, il faut être capable d’être expert de tous les domaines. »
Et parce qu’il entend atteindre son objectif et rassurer les investisseurs, Éric Philippon a pris la décision de donner la moitié de sa fortune personnelle — 5 millions d’euros — dans ce fonds pour servir de levier.
« D’ici dix ans, j’espère que FAMAE sera reconnue comme un fonds qui investira dans les green tech. » Une ambition œcuménique, selon ses propos, « l’idée n’est pas de tout garder pour moi, de m’enrichir. Le capital doit être partagé avec l’équipe. Mais l’objectif est d’avoir un impact ».
D’autant que « la France est prête pour les green tech », assure-t-il. Éoliennes, panneaux solaires, eau, on est loin d’être en retard. Bien au contraire ».
Cette vision philanthrope ne parvient tout de même pas à effacer totalement l’intérêt de l’investisseur en série qu’est Éric Philippon. « On ne le fait pas pour des clopinettes tout de même. On finance la transition environnementale mais avec des “business case” qui tiennent la route. » Investir pour la planète, oui, mais pas n’importe comment tout de même.
Audrey Fisné pour Consultor.fr
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