Consultant recherche infos à tout prix
Depuis une dizaine d’années, des plateformes d’intermédiation agrègent des milliers d’experts. Les consultants y ont abondamment recours, en particulier dans le domaine du private equity. Enquête.

2021, entreprise française : dans les emails d’un cadre intermédiaire, la proposition d’une plateforme de mettre en lien à la demande des entreprises avec des experts. La plateforme écrit pour le compte d’un client, un cabinet de conseil en stratégie, qui lui-même cherche à s’entretenir avec des experts de l’identité numérique en Europe. Toute personne au fait de ce sujet, et à même de consacrer une heure à une interview téléphonique, serait rémunérée de l’ordre de 150 euros.
À la recherche d’opportunités d’affaires dans l’identité numérique en Europe
Un collaborateur accepte de se livrer à l’exercice. Il explique à la consultante, qui lui communique son nom, en omettant celui du cabinet pour lequel elle travaille, que les acteurs européens du secteur prennent des initiatives sur les sujets d’identité numérique, mais qu’elles agissent en ordre dispersé, et que beaucoup pourrait être fait par d’autres, à n’en pas douter.
« Je lui ai passé des infos de qualité, des trucs qu’elle ne connaissait pas. Elle s’est dite heureuse de pouvoir parler avec une source en interne, ce qu’elle n’avait pas pu faire pour le moment », raconte notre source qui s’est livrée à l’interview et a requis l’anonymat pour témoigner de cette expérience, qu’il n’a faite qu’une seule fois.
Car l’exercice se fait clairement sous le manteau : dans un groupe de cette taille, seules quelques poignées de top managers sont habilités sur le papier à s’entretenir des activités de l’entreprise en externe. Lui pensait pouvoir en tirer des informations de marché intéressantes : ce ne fut que partiellement le cas. In fine, ce qu’il est advenu des éléments d’analyse discutés, il n’en a aucune idée.
La mode des plateformes d’intermédiation avec des experts
Ce type d’échanges entre consultants en stratégie et cadres plutôt haut placés, plutôt très seniors, est devenu monnaie courante depuis une dizaine d’années. De nombreuses plateformes en ont fait un business d’intermédiation auquel les cabinets de conseil en stratégie ont abondamment recours.
Cela est particulièrement vrai dans le private equity, lorsque les cabinets sont mandatés pour conseiller acquéreurs et vendeurs d’entreprises. « Quand vous devez vous faire une culture solide sur le marché de la maintenance des montgolfières ou sur la production de tags électroniques bovins, ils sont des outils précieux », témoigne le partner d’un cabinet en stratégie qui a requis l’anonymat.
Plusieurs de ces plateformes existent : Gerson Lehrman Group (GLG), Atheneum, Guidepoint, AlphaSights, Xperts Council, Third Bridge, MyBridger … La plus ancienne est GLG. The Economist, dans un article ancien de 2011, estimait la base d’experts rassemblée par l’entreprise new-yorkaise à 300 000 personnes et le coût moyen annuel payés par les clients pour avoir accès à ces experts à 170 000 dollars. L’entreprise a un bureau à Paris qui, sollicité par Consultor, renvoie vers le bureau de New York, où nos demandes sont restées sans réponse.
Toutes ces plateformes partagent le même modèle : elles prennent une commission sur la mise en relation entre entreprises en recherche d’informations et experts à même de les fournir et ce, à des coûts très variables selon la personne et le temps de l’interview : de quelques centaines d’euros de l’heure à plus de 1 500 euros.
« Typiquement, une société qui travaillerait dans un secteur pourrait avoir des interrogations sur la complexité des process de fabrication dans un secteur adjacent. Des consultants mandatés sur le sujet pourraient passer par une plateforme pour contacter des directeurs d’usines et préciser la réalité des investissements à réaliser », explicite un ancien consultant encore récemment actif chez un MBB en France, qui a accepté de parler sous couvert d’anonymat.
Plusieurs cabinets de conseil en stratégie (Ares & Co, CMI, Roland Berger…) ont confirmé à Consultor avoir recours à l’une ou l’autre de ces plateformes sur une base régulière.
« Sur nos missions de due diligence stratégique, et en particulier puisque l’on intervient souvent sur des sujets de niche peu documentés, le temps d’information constitue la moitié du travail de back office. Et dans cette moitié-là, 25% vont à dépouiller documents, bases de données, sources d’informations publiques auxquels on accède de plus en plus simplement. 75% vont à du temps d’interview d’experts. Les plateformes nous y aident mais représentent plutôt une part marginale. Ce sont des experts auxquels nous pouvons accéder rapidement pour débroussailler des discussions stratégiques de haut niveau sur les sujets sur lesquels nous sommes amenés à travailler », détaille Hugo Perier, senior manager chez CMI.
Ces plateformes d’experts dans le private equity sont présentes depuis dix ans, omniprésentes depuis cinq et réellement incontournables depuis deux ou trois ans, estime au Giovanni Di Francesco, partner chez Ares & Co.
Au sein du cabinet, qui est spécialiste des services financiers, une due diligence sur un sujet complexe et peu documenté nécessite 50 de ces calls experts comme on les appelle dans le métier ; 20 quand les enjeux sont plus simples ; 10 quand le sujet est à ce point spécifique qu’il n’y a en réalité pas plus de 10 personnes capables d’en parler avec le bon niveau d’expertise.
La recherche d’infos tous azimuts
Le miroir aux alouettes façon Uber serait de croire que l’ensemble des informations à aller glaner via ces calls peut être épuisé uniquement à travers ces plateformes.
Chez Ares & Co, on limite même la part des appels qui peuvent être faits via plateforme à trois à cinq calls : on en passe quelques-uns au début des due diligences pour débroussailler certains points, et à la toute fin s’il demeure des trous dans la raquette. Ces plateformes sont tout particulièrement utilisées pour les 10 à 15 due dil que le cabinet fait chaque année, le private equity n’étant pas sa spécialité première.
« Les plateformes démocratisent l’accès à des infos qui étaient autrefois difficiles d’accès et nécessitaient d’être du sérail. Mais elles créent aussi deux effets : nos clients fonds d’investissement s’en servent également, avant même de mandater des conseils sur un achat, ce qui nous oblige à aller plus loin ; par ailleurs sur certains sujets, il n’y a pas 15 000 experts différents sur les plateformes et l’on peut rapidement se retrouver à avoir tous interrogé les mêmes avec une possible déformation ou un tropisme quant à la réalité du marché, ce qui là aussi nous oblige à aller plus loin. Second effet : les plateformes renchérissent le coût d’accès aux informations, des coûts que nous incluons parfois dans nos honoraires, selon l’accord trouvé avec le client sur ce point », détaille Giovanni di Francesco, partner Ares & Co.
Tout en étant loin d'être suffisantes, les plateformes sont en un mot un bon point de départ, et les calls experts permettent, pour les cabinets de conseil en stratégie, de couvrir une réalité beaucoup plus large.
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