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« Renault et Stellantis n’ont que deux ans pour se transformer » selon deux associés du secteur

Y a-t-il eu un retard à l’allumage des deux constructeurs automobiles à fort ancrage tricolore ? Renault et Stellantis connaissent un premier semestre difficile, marqué par une forte baisse de leurs actions. L’analyse d’associés dédiés au secteur auto, Marc Boilard d’Oliver Wyman et Markus Collet de Corporate Value Associates.

Barbara Merle
29 Jul. 2025 à 05:00
« Renault et Stellantis n’ont que deux ans pour se transformer » selon deux associés du secteur
© Adobe Stock

Renault, qui affichait en 2024 des résultats financiers positifs, 56 milliards d’euros de chiffre d’affaires (+7,4 % vs 2023) et une marge opérationnelle record de 8 %, vient d’annoncer un « profit warning » au premier semestre 2025.

Quant à Stellantis, issu de la fusion PSA-Fiat-Chrysler en 2021, le groupe est dans le dur avec une marge opérationnelle qui connait un gros coup de frein passant 13 % en 2023 à 5 % en 2024. Le groupe vient d’annoncer une perte nette de 2 milliards au premier semestre 2025.

Quand Trump rebat les cartes auto

Depuis début avril 2025, l’administration Trump imposait des droits de douane de 25 % sur toutes les voitures et pièces détachées importées de l’UE. Pour le partner d’Oliver Wyman Marc Boilard, « le maintien de ces taxes » semblait peu probable. Un nouvel accord commercial transatlantique conclu le 27 juillet entre les États‑Unis et l’Union européenne porte ce taux à 15% et s’applique notamment aux exportations automobiles de l’UE vers les États‑Unis.

Quid de ce gros coup de frein sur les exportations ? Il concerne l’ensemble des constructeurs exportateurs, et en particulier, Stellantis, qui exporte deux de ses cinq millions de véhicules vers les États-Unis, le Canada et le Mexique. Un secteur plongé depuis les annonces Trump dans un flou artistique, d’après Markus Collet de CVA. « Chaque constructeur, dans cette vague de globalisation et de spécialisation de ses usines, réfléchit à ce qu’il doit faire ou pas dans ce contexte bloqué. Toyota envisage même d’envoyer des véhicules aux États-Unis via les UK qui bénéficient d’accords spécifiques. Ils n’ont plus la capacité de décider à long terme. Toute décision structurelle est un pari. Donc, ils attendent. »

Côté exportations Renault est moins soumis aux USA. Avec le démantèlement progressif de l’alliance, le constructeur français a perdu de sa stature internationale et exporte principalement en Europe.

Le déclin de l’empire européen

Les constructeurs à fort ancrage français sont également confrontés à des problèmes d’ordre structurel : le déclin du marché européen depuis le Covid, qui a atteint jusqu’à 30 % et s’établit aujourd’hui à -20 %. « Et ça ne va pas remonter de sitôt, car l’ensemble de la filière est en surcapacité. À cela se rajoutent toutes les problématiques du marché de la voiture électrique. Et cela coûte beaucoup d’argent de continuer à investir à la fois dans le thermique et l’électrique », assure Marc Boilard d’Oliver Wyman.

Le dilemme ? Source de clivage politique. « Vaut-il mieux sauver l’emploi en Europe ou la planète ? questionne ce partner. Je crois que nous n’avons pas le choix que d’aller vers l’électrique, car le thermique, c’est déjà le passé. Et Markus Collet de CVA d’ajouter : « Et la voiture à hydrogène a encore plus de barrières à surmonter que le véhicule batterie électrique à moyen terme, au moins pour les véhicules légers. [note : c’est tout à fait une option pour les poids lourds.] »

Des constructeurs en pleine révision de gouvernance

Les patrons des deux groupes laissent le volant. Carlos Tavares, supposé partir en 2026, a quitté son poste le 1er décembre dernier, au motif des résultats médiocres, et a été remplacé en mai par Antonio Filosa, ancien patron de Jeep et opérations Amériques. Quant à Luca de Meo, il a quitté le groupe le 15 juillet. « Des rumeurs circulent pour dire qu’il serait parti parce que l’État n’aurait pas validé le rachat par Stellantis », assure un partner du secteur en off. En tout cas, rien ne prouve à ce jour un éventuel rapprochement des deux constructeurs… Son successeur n’est pas connu à ce jour, même si des noms circulent.

Un marché en mutation

Le problème devenu central de nos constructeurs locaux : le prix des voitures. « L’électrique a bon dos ! Si la voiture électrique reste trop chère, le seuil acceptable serait à moins de 20 0000 euros, nous assistons depuis 2019 à une augmentation de 30 à 40 % du prix des véhicules, et l’électrification n’explique pas tout. Les constructeurs ont augmenté leur marge et généré des profits substantiels dans les années post-Covid », pointe le partner d’Oliver Wyman Marc Boilard.

Pendant ce temps-là, les constructeurs chinois débarquent avec une politique tarifaire agressive. Alors que, pour Markus Collet de CVA, « le modèle industriel électrique français n’est pas encore prêt ; les constructeurs locaux ont commencé tardivement, avec Zoé [en 2012, ndlr] et aujourd’hui, on en paie le prix ! » La filiale Ampère de Renault, dédiée aux véhicules électriques et aux logiciels embarqués, a été lancée en novembre 2023, pour accélérer l’électrification et réduire les délais de développement (une Twingo en 2 ans). Chez Stellantis, on a opté pour une approche industrielle de masse, avec standardisation à grande échelle (plateformes, gigafactories de batteries, software). Avec une même deadline que son concurrent français avec 100 % des ventes en électriques en Europe, d’ici 2030.

Devenir agile

Ce retard, un problème stratégique ? Un mélange de plusieurs facteurs selon Marc Boilard : coûts de production (+40 % plus élevés qu’en Chine), le temps de conception (les Chinois sortent un nouveau modèle en 20 mois vs 36 mois en France), des process historiques moins agiles, un manque de maitrise de la chaine d’approvisionnement, et la rigidité du marché du travail en France… Une amorce de changement ? Renault annonce le développement d’une nouvelle Twingo en 20 mois… Et les constructeurs plaident auprès de la Commission européenne pour une nouvelle catégorie M0 « e-car » avec des normes moins contraignantes, afin de sauver le segment des petits EV face aux marques chinoises…

Le défi urgent pour nos constructeurs est aux yeux de Markus Collet de CVA, celui de la transition vers « la smart électrique », où l’on conçoit et fabrique une voiture comme un ordinateur. « C’est 30 à 40 % de temps de développement en moins, des composants moins chers, des renouvellements de modèles plus rapides, et des voitures plus intégrées. L’architecture du produit est le plus important. »

La difficulté première selon l’associé de CVA est « moins de faire du nouveau que de se débarrasser de l’ancien, car, contrairement à certains Chinois comme Xiaomi et BYD, encombrés par moins de legacy, les constructeurs français doivent changer leurs process et leurs équipes. Pour seul exemple, Volkswagen a 600 000 employés sur le thermique, et ce n’est pas interchangeable. »

Renault face à un challenge de taille

Quant à leur futur plan stratégique, Renault et Stellantis continuent de se différencier face à des problématiques bien différentes, comme le note Marc Boilard d’Oliver Wyman. « Stellantis a sans doute plus besoin d’une rupture, alors que pour Renault, maintenant redressé, l’idée est de continuer à déployer la stratégie engagée. »

Le groupe Renault a concocté sa future stratégie dans une certaine continuité du plan « La Renaulution » 2021-2025 de de Meo. Ce projet, serait déjà prêt et opérationnel, son officialisation étant en attente de la nouvelle gouvernance, avec un objectif visé : renforcer Ampère, « une approche visionnaire, digne de Tesla, un coup de génie d’avoir scindé les entités et de spécialiser les processus et les collaborateurs sur l’électrique », selon Markus Collet de CVA, Mobilize (mobilité durable), finaliser l’externalisation du thermique/hybride via Horse, accélérer l’internationalisation via l’International Game Plan 2027, notamment en Inde.

Et un défi d’ampleur : l’électrification complète à terme et 100 % de véhicules électriques en Europe d’ici 2030 et s’imposer comme le leader en Europe. « C’est un modèle d’entreprise étendue assez nouveau, comprenant plusieurs entités scindées avec de nombreux partenariats, comme Ampère avec Google. Il reste un sujet de taille critique », remarque Marc Boilard d’Oliver Wyman. Un sentiment partagé par l’associé de CVA : « Les fusions de Renault-Nissan et de Renault-FCA [Fiat Chrysler Automobiles, en 2019, ndlr], un échec historique, n’ont pas pu se faire et limitent l’internationalisation. Par ailleurs, le plus grand défi du groupe est celui de la taille, qui est nécessaire pour gagner la course à l’innovation, pour réduire massivement les coûts, et investir massivement dans la voiture électrique smart. Donc, la stratégie des partenariats est une nécessité pour Renault. »

Stellantis face à l’inconnu international

Du côté du groupe Stellantis, il risque de devenir « plus américano-européen que l’inverse, d’ailleurs, le nouveau CEO va s’installer aux US, et a atteint une taille critique pour durer et faire les investissements nécessaires, selon Marc Boilard d’Oliver Wyman. La difficulté du secteur, c’est qu’il est très gourmand en cash et peu attractif pour les investisseurs, car avec peu de rendements ». Un groupe qui continue donc de miser sur le continent nord-américain, confirme Markus Collet de CVA. « Il n’est plus présent en Chine qu’avec ses marques américaines et l’Europe reste compliquée en termes de marché et de structure et de règlementation. » Par ailleurs, le recentrage de l’investissement aux États-Unis vs le Canada et le Mexique serait une stratégie gagnante, et « attendre que la poussière retombe », image Marc Boilard.

Stellantis a décidé un recentrage sur les activités les plus porteuses et un allégement de la structure : McKinsey a notamment été missionné pour étudier l’avenir de Maserati (une éventuelle cession) et d’Alfa Roméo en sous-performance. Concernant l’électrique, suite aux déboires commerciaux, le projet « Dare Forward 2030 » est en révision sous la nouvelle direction d’Antonio Filosa.

Mais, pour ces experts du secteur auto, nos constructeurs nationaux n’ont plus le choix de la transition vers l’électrique, comme l’explique l’associé de CVA, Markus Collet. « Si on ne joue pas le jeu à marche forcée, on va abandonner cette industrie. Ce n’est plus un enjeu de marge, mais de réussir et survivre ou d’échouer dans une nouvelle ère technologique. » Et il va falloir rapidement passer à la vitesse supérieure. À force de retarder l’échéance, les constructeurs français n’auraient plus que 2 ans, 2 ans et demi, pour se transformer.

Corporate Value Associates Oliver Wyman Marc Boilard Markus Collet
Barbara Merle
29 Jul. 2025 à 05:00
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commentaires (2)

BobDenard
29 Jul 2025 à 18:52
Mettre sur le même plan Renault et Stellantis fait pas être très expert du secteur.

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BM23
29 Jul 2025 à 15:20
Les constructeurs Renault et Stellantis ne brillent pas par la qualité et la longévité de leurs véhicules. Nos ferrailleurs disposeront d'une matière première "durable" pendant que même en Europe, à l'instar des smartphone, nos nouvelles automobiles proviendront presque toute du sud-est asiatique... Espérons seulement que nos contribuables ne seront pas assommés par le coût de reconversion de ces emplois tristement perdus en raison du marketing et du management à la Française... merci à eux ! car il arrive parfois que même les plus fidèles des pigeons finissent par changer d'abreuvoir ! (propriétaire d'un véhicule C4 grand Picasso Stellantis à moteur puretech et d'un Dacia Duster diesel 110 ch tous deux avec un moteur prématurément hors d'usage, propriétaire qui n'achètera plus jamais un véhicule Européen)

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automobile - mobilités

Adeline
automobile - mobilités
Renault, Stellantis, voiture électrique, transition énergétique, marché auto, stratégie industrielle, droits de douane US, constructeurs français
14738
Corporate Value Associates Oliver Wyman
Marc Boilard Markus Collet
2025-07-28 13:32:56
2
Non
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