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Stéphane Eyraud : « Il y a de moins en moins de place pour les artisans du conseil »

Le consulting n’est plus ce qu’il était : le conseil entrepreneurial et sur mesure cède la place à un marché « commoditisé », selon Stéphane Eyraud, dirigeant-fondateur de Martheart FS. Avec quelques nuances cependant.

Bertrand Sérieyx
04 Jul. 2025 à 05:00
Stéphane Eyraud : « Il y a de moins en moins de place pour les artisans du conseil »
© Adobe Stock

En 2014, dans un entretien accordé à Consultor, Stéphane Eyraud évoquait ses ambitions pour Chappuis Halder, le cabinet de conseil qu’il avait cofondé 4 ans plus tôt – après un début de carrière marqué par un passage chez BNP Paribas puis chez PwC, et une première aventure entrepreneuriale. L’article portait en titre cette citation téméraire : « Nous espérons atteindre les 500 consultants en 5 ans. » Aujourd’hui, esquissant un sourire à la fois gêné et amusé, l’entrepreneur avoue regretter un peu d’avoir laissé passer cet exergue. La prophétie, en effet, ne devait pas se réaliser telle quelle. Lors de la cession en 2022 de Chappuis Halder à Cap Gemini, le cabinet n’en avait pas moins quasiment doublé ses effectifs, avec quelque 200 consultants. Un résultat plus qu’honorable, bien qu’en deçà des espérances initiales.

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 Chappuis Halder, très jeune cabinet spécialisé avant tout dans les services financiers, a franchi en à peine quatre ans un seuil décisif, ayant passé en 2013 la barre des 100 consultants.

Parallèlement, il a acquis une véritable dimension internationale, en implantant des bureaux pleinement opérationnels dans les métropoles clés de son secteur, autant en Amérique, en Asie qu'en Europe.

Vers la commoditisation du conseil

Stéphane Eyraud resizée

Alors, pourquoi 200 et pas 500 ? En partie en raison d’une évolution inhérente au marché, analyse immédiatement l’ancien CEO, et qu’il désigne comme la « commoditisation » rampante du secteur. « L’enjeu, pour les cabinets de conseil, est de lutter aujourd’hui contre le fait de devenir une commodité, une simple prestation payée à l’heure, avec le prix comme seul enjeu de négociation. » La tendance, selon lui, était déjà sensible dans les années 2010, mais « elle s’est amplifiée avec l’évolution des nouvelles technologies et l’arrivée de l’IA générative ».

Résultat : « Il y a de moins en moins de place pour des acteurs de taille moyenne, qui pratiquent un conseil “artisanal”, en orfèvres, dans lequel les Associés et Directeurs s’impliquent fortement pour élaborer des solutions sur mesure et de haut niveau ». À mesure que les clients « changent leur perception de la création de valeur par les cabinets de conseil », les acteurs de taille intermédiaire qui, comme Chappuis Halder, « faisaient de la dentelle de Calais » s’effacent au profit « soit de grandes marques, soit de freelances, souvent organisés en plateformes. À moins de se spécialiser dans une niche comme la data science, l’actuariat ou le risk management, par exemple ». Cette évolution est « poussée par les services achats, qui préfèrent avoir un petit nombre d’interlocuteurs et faire baisser les prix en augmentant les volumes ».

Conseil en management et banque d’affaires : deux salles, deux ambiances

Tous les métiers de service « high level » aux entreprises ne sont cependant pas logés à la même enseigne. Depuis la cession de Chappuis Halder à Capgemini, fruit consensuel d’une « discussion entre associés entamée dès 2021 », Stéphane Eyraud partage son temps entre 3 activités complémentaires. Début 2024, il a lancé à Londres le cabinet Martheart FS, qui accompagne fonds de private equity et corporate dans leurs stratégies d’investissement (avant, pendant, après les deals). Deuxième casquette : le conseil en M&A dans le secteur des services financiers, au sein de la Financière des Ternes, qu’il a rejointe en janvier 2025 pour y créer cette branche. Enfin, il enseigne l’entrepreneuriat à l’IE University, à Madrid. Le point commun : l’expertise financière, sans doute, mais mise au service de la « vraie » cause qui anime Stéphane Eyraud : la création et le développement des entreprises.

Comment passe-t-on du conseil en management à l’accompagnement de transactions ? « Ce sont des métiers différents », concède le consultant-entrepreneur. L’horizon de temps n’est pas le même : « Dans les transactions, les cycles sont plus longs, et sont sanctionnés par un juge de paix qui est l’achat ou la vente. Le conseil en management tourne autour de missions de 3 mois en moyenne, qui ne s’achèvent pas nécessairement sur un résultat immédiatement tangible ».

Une part incompressible d’expertise humaine

Il y a au moins un point commun entre les deux métiers : ils sont également affectés par l’émergence de l’intelligence artificielle générative, elle-même facteur puissant d’automatisation et de standardisation. Stéphane Eyraud renvoie aux propos de David Solomon lors du Cisco AI Summit à Palo Alto en début d’année. Selon le CEO de Goldman Sachs, 95 % des formalités nécessaires à une introduction en bourse peuvent être accomplies par une IA en quelques minutes ; auparavant, il fallait mobiliser une équipe de 6 personnes pendant 2 semaines. Pour le dirigeant de Martheart, « l’enjeu est de faire la différence sur les 5 % qui restent – entretenir le momentum, parler aux investisseurs, driver la communication du CEO… C’est vrai dans le M&A, dans le conseil en stratégie, dans le conseil en management – d’une façon générale dans les services aux entreprises. »

C’est bien dans ces 5 % (« 5 ou 10 %, précise-t-il, David Solomon a peut-être un peu forcé le trait ») que les différents types de conseil et d’accompagnement des entreprises peuvent aller chercher leur valeur ajoutée. Ce qui amène à nuancer un peu les menaces de standardisation qui pèsent sur ces professions. Nuances qui s’imposent particulièrement lorsque la conjoncture se tend. Dans le cas du M&A, par exemple, « il y a eu des époques où des cabinets pouvaient presque fonctionner en mode “catalogue”, en offrant un large choix de sociétés aux investisseurs. Aujourd’hui, les transactions doivent davantage se construire dans le temps, souvent en allant chercher, pour les convaincre, des entreprises très attachées à leur indépendance ».

Culture de l’entrepreneuriat : l’autre déficit de la France

Le marché n’est cependant pas le seul facteur qui contrarie le maintien d’un conseil « entrepreneurial » ; en France, pour Stéphane Eyraud, c’est l’entrepreneuriat dans son ensemble qui souffre d’un déficit de soutien et de compréhension. C’est aussi l’une des raisons qui lui font apprécier sa nouvelle vie professionnelle. En effet, du conseil en management à l’accompagnement des transactions, le casting des interlocuteurs change : « Aujourd’hui, je parle à des entrepreneurs. Je suis entrepreneur moi-même, et c’est un milieu que j’apprécie beaucoup. C’est un peu plus rock’n’roll, moins formel, on leur parle le plus souvent au téléphone quand ils sont au volant de leur voiture entre deux rendez-vous, ils ont peu de temps… Mais ils sont en attente d’aide et d’expertise ».

Le patron-consultant s’anime lorsqu’on aborde le sujet de l’entrepreneuriat. « Les entrepreneurs ne sont pas assez accompagnés en France. Beaucoup de jeunes ont envie d’entreprendre, mais l’aide qu’on leur apporte est insuffisante, que ce soit en formation ou en soutien financier, juridique et logistique. La BPI joue un rôle très important, l’Europe fait des efforts de simplification, mais on reste très loin de ce qu’il faudrait. »

Derrière, on pressent un problème culturel plus large. Stéphane Eyraud fulmine en se remémorant la récente intervention sur BFM TV de Jacques Attali, pour qui « la moitié, sinon les trois quarts des entrepreneurs empoisonnent le monde » (18 avril 2025). Une sortie qui a consterné le dirigeant de Martheart F.S., pour qui l’efficacité entrepreneuriale passe, à l’échelon individuel, par un alignement du projet d’entreprise sur ses aspirations et valeurs personnelles. Et donc par une forme d’engagement et d’attachement à des valeurs.

Alors, le conseil est-il en train de se « commoditiser » ? Ce qui est sûr, c’est que tous les métiers n’y sont pas sujets dans les mêmes proportions. Dans le conseil en stratégie proprement dit, on sait qu’il y a une place pour des acteurs entrepreneuriaux et des prestations plus « artisanales », à côté de grands intervenants aux services plus standardisés. Il reste que, si l’on en croit Stéphane Eyraud, les forces du marché, de la technologie et, en France, d’une culture entrepreneuriale déficiente conspireraient, en tendance et dans les services intellectuels aux entreprises, contre l’émergence et le maintien d’acteurs de taille moyenne adeptes du sur-mesure et du « travail bien fait ». Si c’est bien le cas, les défenseurs des « 5 à 10 % » incompressibles de valeur ajoutée humaine ont du pain sur la planche.

Bertrand Sérieyx
04 Jul. 2025 à 05:00
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Manuel de survie

Adeline
Manuel de survie
conseil en stratégie, commoditisation du conseil, Stéphane Eyraud, Chappuis Halder, fondateur, Martheart FS, fusions-acquisitions, entrepreneuriat, IA
14683
2025-07-04 07:43:57
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Non
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