Talan, success-story du conseil français : Mehdi Houas, le boss « à 200 % »
Pugnace, Mehdi Houas a fait de l’ESN Talan un groupe de conseil et d’expertise technologique qui devrait franchir le cap du milliard d’euros de chiffre d’affaires cette année – selon ses prévisions.
Pour y parvenir – le CA de Talan était de 830 millions d’euros en 2024 –, Mehdi Houas prône un accompagnement « end-to-end » des clients, de la stratégie jusqu’à la mise en œuvre opérationnelle. Car « la limite ne vient plus de la technologie, mais de la capacité à imaginer et à décider ce que l’on doit faire ».
Cette conviction éclaire la trajectoire et le positionnement du groupe, nourris des expériences préalables du cofondateur et de ses deux associés – dans le succès comme dans l’échec.
L’ADN de Talan puise aussi dans l’identité de Mehdi Houas. « Je suis franco-tunisien, 100 % français, 100 % tunisien et donc enrichi, 200 %. »
Avant même d’achever ses études, le natif de Marseille sait qu’il créera son entreprise. « J’avais envie d’être acteur et maître de mon destin. »
Le jour où Mehdi Houas a compris qu’il ne présiderait jamais IBM
Diplômé de Télécom ParisTech en 1983, il débute chez Alcatel la même année, dans la R&D, et s’y sent « comme un poisson dans l’eau » – il faut dire qu’il a très vite la chance de remplacer son n+1 à la tête d’une unité de recherche.
Trois ans plus tard, ce sera IBM, qu’il visait dès le départ – mais il n’avait pas encore la nationalité française, requise pour travailler en France au sein du groupe. Une fois celle-ci obtenue, un recruteur d’IBM le convainc qu’il est « fait pour le commerce ». Neuf mois de formation intensive plus tard – « si vous ratiez l’examen, vous dégagiez » – Mehdi Houas bat « le record mondial du nombre de points obtenus à l’examen final », glisse-t-il non sans fierté.
Mais l’épisode fondateur est ailleurs. Quand il confie à son supérieur vouloir, à terme, devenir président du géant de l’informatique, la réponse aurait fusé : « Avec ton nom, ce ne sera pas facile. » Qu’à cela ne tienne : il présidera sa propre entreprise.
En 1989, il fonde donc Telease Consulting – pour Télécom Easy – avec deux amis rencontrés chez IBM, Éric Benamou et Philippe Cassoulat. « Un juif, un chrétien, un musulman. » Le trio incarne ce que Mehdi Houas promeut toujours aujourd’hui : la diversité comme moteur entrepreneurial et la technologie comme levier stratégique, pas comme une fin en soi. Dans cette perspective, il est notamment président puis administrateur de l’association Talents du Numérique, qui s’attache à mieux faire connaître les formations et métiers du secteur.
Une ascension fulgurante, suivie d’une chute retentissante
Le propos de Telease ? Expliquer aux directions générales « la puissance des nouveaux leviers technologiques » que sont les réseaux télécom modernes et les systèmes d’information interconnectés. Le cabinet est l’un des premiers à articuler une réflexion métier autour d’innovations technologiques. Si les trois compères « adorent la techno et savent la dompter », ce qui les intéresse, c’est « en quoi elle peut être utile pour accélérer la transformation de leurs clients ».
À partir de 1993, ce sera l’aventure Valoris, après la fusion avec Polaris qui développe des outils d’aide à la décision, moyennant une croissance impressionnante : un chiffre d’affaires passé de 40 à 100 millions en 3 ans, 1 200 collaborateurs en 2001 en France, en Espagne, au Royaume-Uni et au Benelux avec, pour la première fois, « la compétence du delivery » qui s’ajoute à celles du conseil et de l’expertise tech.
Mais ce succès débouche sur un échec retentissant : 12 acquisitions, « toutes massacrées », une IPO manquée, et une vente au rabais. De cette désillusion naîtra Talan. Et un principe : ne plus jamais laisser la main « à plus gros que soi ».
Car l’entrée au capital de Morgan Stanley et d’Apax Partners – « nous étions si fiers » –, a sonné le glas de l’aventure. « On nous disait de faire de la croissance, et que la rentabilité viendrait après. Tout le monde était confiant, Euronext inclus. Et puis la bulle Internet a éclaté, et nous avec ! »
La doctrine Talan : « La rentabilité, c’est notre liberté »
Le groupe naît en 2002, autour de trois règles fortes.
La première est liée « à la vocation d’une entreprise, qui est de créer plus de richesses qu’elle n’en consomme. » Talan applique ce précepte à la lettre : depuis 2002, en près de 250 mois d’existence, elle n’aurait connu que 2 mois non rentables. Ce qui n’est pas une exception dans le conseil… « C’est notre liberté », martèle Mehdi Houas. La rentabilité sert à financer « le coup d’après, à croître et à continuer son aventure sans dépendre de la décision d’un tiers ».
Deuxième principe : rester fidèle à ses savoir-faire. « Nous avons explosé avec la bulle d’Internet alors que nous n’avions rien à voir avec ce phénomène de mode ! » La valeur ajoutée de Talan tiendrait dans sa capacité à mobiliser des experts « capables d’implémenter les technologies émergentes avant les autres », en lien avec les besoins opérationnels de ses clients.
Mehdi Houas aime fonctionner par grandes idées, énoncées comme des évidences. Il vérifie d’ailleurs régulièrement que cette mécanique est lisible de tous – mieux vaut suivre.
Quant au troisième pilier, c’est celui du collectif. S’il a « beaucoup de respect pour ses amis Matthieu Courtecuisse de Sia, Pascal Imbert de Wavestone et David Layani de Onepoint », il voit leurs success-stories comme « unipersonnelles ». Lui, revendique un modèle partagé reposant davantage sur le collectif, vécu comme « une aventure commune » : trois fondateurs au départ, aujourd’hui plus de 450 managers et jusqu’à 1 500 salariés actionnaires, les seconds via un FCPE (fonds commun de placement en entreprise). « Ensemble, nous créons de la richesse et après, nous la partageons. » Selon lui, cette ambition collective est le principal moteur de croissance de Talan.
Une dimension qui s’articule visiblement autour d’un leadership très affirmé. Et « inspirant », selon l’un des senior partners du groupe.
Le virage stratégique : « Valoriser la data et l’IA autour d’une proposition de valeur end-to-end »
Pour expliquer ce repositionnement, Mehdi Houas banalise deux facteurs non différenciants selon lui : la course à la puissance de calcul – « multipliée par 100 000 en 20 ans, mais désormais accessible à tous » – et les modèles issus des algorithmes, dont les fondements remontent « au 9e siècle, avec le mathématicien perse Al-Khwârizmî ». Il se concentre en revanche sur ce qui constituerait « le vrai différenciant », à savoir « la data, la façon dont on va la capter, l’organiser, la structurer et la sécuriser avant de la valoriser ».
Dès lors, un cabinet faisant uniquement du conseil ou de la tech « ne sera plus invité à la table des décideurs. Il faut qu’il allie maîtrise technologique et capacité à la traduire auprès des métiers, pour avoir une légitimité de discussion avec un C-level ».
D’où sa décision de doter Talan d’une brique complémentaire de conseil en stratégie. Dans l’idéal, la stratégie et la transformation représenteront à terme « 25 à 30 % de l’activité globale, le conseil en architecture technologique, 25 à 30 % également, le reste provenant de la réalisation et de la mise en œuvre des projets data & IA ».
Le rachat de Nova Consulting en est un levier. Le cabinet est au cœur de cette nouvelle dynamique avec son fondateur, Julien Bernard – un ancien du BCG – devenu senior partner. Il est en charge du pôle Growth & Strategy de Talan.
L’autre booster est l’arrivée d’un ancien partner de McKinsey, François Soubien, qui pilote la branche Consulting de Talan depuis octobre 2024. « Trois ans plus tôt, il m’aurait dit que nous n’avions pas la taille. » Désormais, les clients recherchent « l’expertise de gens qui expliquent ce qu’il faut faire pour transformer et qui les accompagnent pour le faire ».
La brique de conseil en stratégie devrait bientôt bénéficier des apports de 6 nouveaux associés avec une expérience MBB.
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Pour Talan, l’acquisition de Nova constitue « la première pierre » du déploiement dans le conseil en strat’ du cabinet de conseil et transformation par la tech, selon son VP exécutif Nicolas Récapet interrogé par Consultor.
Si, durant de nombreuses années, Talan a suivi une croissance « tirée par la réalisation et l’expertise technologique », selon Mehdi Houas, les clients auraient à présent « suffisamment acheté de technologies ». Dans un marché qui « change de sens, le conseil va prendre plus de poids : dire où aller, comment faire, accompagner et, si possible, raccourcir le cycle ».
Un repositionnement potentiellement miné ?
Dans le passé, les tentatives d’intégration tech + stratégie ont toutes échoué : Kearney/EDS, Bossard/Capgemini, Accenture « Strategy », qui a progressivement disparu… Mehdi Houas le reconnaît, ajoutant que ces ratages sont dus « à des questions culturelles, et à un manque de respect ».
Or, chez Talan, ce serait une exigence. « Avec François Soubien, je n’ai pas recruté “un partner McKinsey”, j’ai choisi le seul partner McKinsey qui est ravi de discuter avec des techniciens. » Un respect qui irriguerait les relations dès l’intégration des jeunes recrues. « Il doit y avoir la conviction que l’autre va m’éclairer. »
L’équation tient. Mais elle repose sur une alchimie fragile : faire cohabiter des cultures professionnelles qui ont longtemps été opposées – ce ne serait plus le cas aujourd’hui – et des niveaux de salaires assez différents. À cet égard, Mehdi Houas reste vague, citant « la redistribution » à laquelle Talan procède.
Autre défi, celui des acquisitions devenues chaque année plus importantes, sur un rythme qui s’accélère. « 10 millions d’euros, puis 20, 30, 60… », jusqu’à Micropole (140 M€) et Coexya (110 M€) l’an dernier. Et, demain, « 250 millions en Allemagne ou en Italie ».
En effet, selon le président de Talan, « au-delà de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires », une entreprise devient « une cible pour les géants de son secteur », subissant la pression simultanée des clients et de ses partenaires. Pour accéder à l’échelon supérieur, la seule solution serait de grossir très vite, via une puissante croissance externe.
Et si l’introduction en Bourse n’est pas un « projet » pour lui – l’IPO viendra si nécessaire « au-delà de 2,5 milliards de chiffre d’affaires » –, le rêve de Mehdi Houas est ailleurs : « que Talan [lui] survive, que le groupe progresse et soit toujours leader plutôt que suiveur ».
La suite de l’histoire reste à écrire.
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