Afrique : « Un marché à 1 milliard d’euros d’ici 3 à 5 ans »
Plusieurs pays africains présentent les critères pour devenir des marchés porteurs pour le conseil en stratégie. Les bureaux pourraient rapidement se multiplier.
Nicolas Teisseyre Managing Partner chez Roland Berger, Vittorio Massone Managing Partner chez Bain et Emmanuel Cullin, associé du bureau chez Exton Consulting répondent à nos questions.
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«Le marché continental du conseil en stratégie se situe aujourd'hui probablement dans une fourchette autour de quatre à cinq cents millions d’euros, dont un tiers en Afrique du sud, et devrait atteindre le milliard d’euros d’ici trois à cinq ans », indique Nicolas Teisseyre, partner au sein de Roland Berger Paris, et en charge du développement des activités du cabinet en Afrique francophone et sur l’ensemble du continent.
Un chiffre à nuancer pour Vittorio Massone, Managing Partner au bureau de Bain à Johannesburg, sollicité par Consultor : "Cela dépend vraiment de ce que l'on appelle conseil. Quels cabinets et quels types de prestations est-ce que l'on inclut ? Si l'on met avec la stratégie tous les types de conseil, en organisation, en IT, alors un milliard est probablement réaliste. Mais par exemple en Italie, le chiffre d'affaires des cabinets first tier pour le seul conseil en strategie [McKinsey, Bain et le BCG, Ndlr] doit atteindre 300 à 400 millions d'euros. C'est dire si un milliard d'euros pour le seul conseil en stratégie en Afrique me semble anticiper de beaucoup sur la réalité du marché".
Trois segments de marché distincts
Un chiffre d'affaires qui se concentre pour le moment au Maroc et en Afrique du Sud (voir notre article sur l'eldorado du conseil au Maghreb). "Nous sommes installés au Maroc simplement parce que c'est le marché francophone du conseil le plus important", confirme Emmanuel Cullin, associé Exton Consulting au bureau de Casablanca qui compte une dizaine de consultants. Un certain tropisme qui n'est pas fait pour durer, à voir la croissance affichée par nombre d'autres pays africains.
À commencer par les « 40 challengers » africains, auxquels le Boston Consulting Group faisait un aimable appel du pied dans un rapport publié en juin 2010. Si on y trouvait en majorité des poids lourds marocains, comme les banques Attijariwafa et BMCE, l'Office chérifien des phosphates et Royal Air Maroc, et sud-africains, à l'instar du brasseur SABMiller et du groupe minier Anglo American, la liste ne s’arrêtait pas là. Neuf autres entreprises de six autres nationalités, dont le Dangote Group au Nigeria, Cevital en Algérie ou Egyptair, apparaissaient également.
Le même mois, Coupe du monde sud-africaine oblige, le McKinsey Global Institute, la branche de recherche et publication du géant américain, raffinait la métaphore et la grille d’analyse dans son étude sur l’ « heure des lions ». Des pays comme la Namibie, la Côte-d’Ivoire ou le Botswana figuraient aux côtés de l’Afrique du Sud, du Maroc, de la Tunisie et de l’Égypte, les quatre économies les plus diversifiées et les plus développées du continent.
« Il y a trois segments de marché distincts, les États, les multinationales européennes, françaises et allemandes par exemple, mais aussi de plus en plus souvent chinoises ou indiennes, et les champions régionaux », résume Nicolas Teisseyre.
Une segmentation propre au bureau français qui ne s'applique pas à tous. "Nous n'avons pas les clients indiens et chinois parce que nous travaillons exclusivement dans la banque et l'assurance, à 90% avec des champions nationaux qui sont bien implantés sur le reste du continent. C'est bien plus simple que de faire du démarchage direct, même si nous ne travaillons pas encore hors du Maroc", précise Emmanuel Cullin.
Le personnel nécessaire à l'implantation d'un bureau est difficile à trouver
Si Bain, par exemple, prône comme typiquement africain l'engagement caritatif de son équipe de Johannesburg, in fine un seul critère détermine l'ouverture d'un bureau : celui du retour sur investissement sur le long terme. "Nous avons déjà travaillé sur une mission qui était financée par la fondation Bill Gates, mais nous travaillons avant tout pour la réussite de l'entreprise, et l'effet sur le développement ne peut être qu'indirect. Mais pour ouvrir un bureau, il faut avoir la garantie d'un volume d'affaires récurrent à même de couvrir le salaire d'un consultant et d'un directeur, sinon vous vous retrouvez vite en perte", indique Emmanuel Cullin.
"Nous avons une vraie équipe sud-africaine, qui compte 80% de locaux dans ses rangs. Nous ne pensons pas ouvrir immédiatement d'autres bureaux, parce qu'il ne sert à rien de précipiter les ouvertures. Si vous voulez aller en Angola par exemple, il vous faudra des gens compétents à même de parler portugais. Ce sont des ressources qui sont complexes à trouver, et nous travaillons activement à constituer des pools de dirigeants locaux, motivés, et qui souhaitent s'investir sur le long terme. Dans cette perspective, le Kenya, le Ghana et le Nigeria sont nos priorités.Il est plus facile de trouver des gens au niveau MBA là-bas qu'en Afrique du Sud", précise Vittorio Massone.
Ces caractéristiques de marché expliquent que les installations en propre des cabinets restent encore timides hors de Casablanca et Johannesburg. A quelques exceptions notables près : McKinsey est au Caire et à Lagos, où se trouve également Roland Berger. Seuls 7 cabinets au total ont pignon sur rue en Afrique.
« Nous prévoyons à court et moyen termes, plusieurs ouvertures sur le continent Africain »
Mais la domiciliation n’égale pas le périmètre d’activité. Ce qui la rend presque anecdotique et peu révélatrice du développement de l’activité de conseil sur le continent. « Nous intervenons dans de nombreux autres pays africains, au Maghreb, en Algérie, en Tunisie, en Égypte, en Libye, en Afrique subsaharienne francophone, au Cameroun, en Côte-d'Ivoire, en Afrique subsaharienne anglophone et lusophone, par exemple au Kenya », corrobore Nicolas Teisseyre.
Une analyse que confirmait Acha Leke, alors associé du bureau McKinsey à Johannesburg et aujourd’hui directeur du bureau de Lagos au Nigéria, dans une interview donnée à L’Expansion en mars 2011. À l’époque, 30% du chiffre d’affaires du bureau sud-africain se faisait ailleurs sur le continent, comme lors de la restructuration de la Kenya Commercial Bank ou l'évaluation du passif de la Société nationale d'électricité au Sénégal. Depuis 1995, le bureau de Johannesburg revendique "600 projets dans plus de 20 pays africains".
"C'est une part très significative de notre chiffre d'affaires", confirme Vittorio Massone, mais d'ajouter que "notre croissance sur le continent est largement déterminée par les schémas de croissance de nos clients, et les régions vers lesquelles ils souhaitent aller pour atteindre leurs objectifs. Et de toute façon parler de stratégie africaine est un abus de langage. C'est un continent fait de 53 pays, donc savoir exactement qui fait quoi partout est peu illusoire. Chaque pays a ses caractéristiques propores : un gouvernement prédominant avec un secteur privé réduit, ou inversement une privatisation galopante. Nous n'avons pas de stratégie africaine, mais un mix sectoriel adapté à chaque pays", nous dit aussi Vittorio Massone.
C’est ce point mort, lorsque qu'une masse contractuelle critique et récurrente est atteinte, que nombre d’autres marchés africains ne sont plus très loin d’atteindre. À entendre Nicolas Teisseyre, des investissements plus durables sont à prévoir. Peut-être par alliances dans un premier temps, et en solo ensuite : « Comme cela a été le cas et la clé dans notre réussite au Maroc. Le développement en Afrique passe par des ouvertures de bureaux en propre appuyées par des partenariats avec des cabinets déjà implantés et complémentaires de nos savoir faire. Nous prévoyons à court et moyen termes, plusieurs ouvertures sur le continent africain », dit-il.
Aucune raison pour que la concurrence ne suive pas, sauf si elle prend les devants.
Benjamin Polle pour Consultor, portail du conseil en stratégie- 05/05/2012
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