Parité, diversité, éthique, carrière : interview-fleuve de la directrice de McKinsey en France

La directrice générale de McKinsey en France depuis 2 ans s’est livrée à un exercice d’interview à bâtons rompus dans le podcast Pause d’Alexandre Mars, patron touche-à-tout devenu philanthrope. Elle y évoque son parcours personnel, sa carrière dans le conseil, la perception juste et erronée de ce qu’est le conseil et ce qu’elle veut insuffler dans ses fonctions. Digest de l’interview.

Consultor
22 Nov. 2023 à 05:00
Parité, diversité, éthique, carrière : interview-fleuve de la directrice de McKinsey en France
© McKinsey

Entrée chez McKinsey comme consultante après sa sortie de HEC en 2000, elle a gravi tous les échelons de la firme, dont elle a été nommée partner en 2010.

Entre 2018 et 2021, elle devient membre du comex mondial, avant de prendre les rênes du bureau français (450 millions d’euros de chiffre d’affaires, 3 % de l’activité de McKinsey dans le monde) la même année.

Elle est aussi très identifiée pour ses engagements en faveur de la parité et de la diversité : dans un passé récent, elle s’est engagée dans le programme Women Matter du cabinet et au sein de Génération France, une ONG qui développe des programmes de formation visant à intégrer des jeunes éloignés du marché du travail.

Tout ceci est de notoriété publique.

Mais dans sa récente interview au podcast d’Alexandre Mars, elle en dit beaucoup plus.

Ses engagements

Sur elle, d’abord. Fille d’un professeur de lettres et d’une maman naturopathe, boursière, issue de Cergy-Pontoise, elle a un parcours qu’on qualifierait volontiers en France de méritocratique. Un de ses frères est psychologue, l’autre est magasinier-cariste après avoir s’être engagé dans l’armée et avoir servi en ex-Yougoslavie.

Elle dit être restée fidèle à son impulsion de préado qui voulait changer le monde. À 20 ans, elle part dans une léproserie indienne, ce dont elle garde des séquelles jusqu’à ce jour avec des accès de santé récurrents depuis, qui lui font régulièrement perdre beaucoup de poids. Elle garde aujourd’hui des engagements à la Croix Rouge ou chez S.O.S. Suicide.

Rapidement, il sera assez évident qu’elle est bonne élève. « Petite, je voulais changer le monde. À 10, 12 ans, je me disais qu’il fallait que j’étudie. Je me disais que si j’étudiais, je pourrais être dans des positions de pouvoir », témoigne-t-elle.

Enfant, elle est aussi très sportive, nage 4 heures par semaine et est envisagée un temps pour un sport-étude. Dont il ne sera finalement rien.

Tenir dans le conseil en tant que femme

Elle revient également sur ce que cela prend de faire carrière dans le conseil en stratégie pour une femme.

« C’est plus dur pour les femmes. En plus, si on choisit d’être mère, quatre fois me concernant. Mon métier est beaucoup un métier d’hommes. La barre est haute », dit-elle.

Elle a personnellement vécu quatre retours de congés mat’ chez McKinsey. Avec son lot d’acrobaties comme lorsqu’il lui fallait tirer son lait dans les toilettes du cabinet à New York où elle a passé un temps, et déposer le lait dans le mini-frigo d’un collègue compatissant faute de mieux. Ou de même, pour son dernier enfant, quand justement elle ne voulait plus tirer son lait, elle faisait quatre allers-retours en taxi-moto par jour pour allaiter son bébé.

Au quotidien, elle n’hésite pas à partager des petits trucs qui peuvent sembler anodins : « En réunion, vous ne vous levez jamais pour faire un café. Vous ne vous levez pas pour aller faire une photocopie s’il manque un document. Jamais vous n’allez faire les branchements ou je ne sais quoi. Parce que c’est hyper juniorisant. Quand vous revenez, vous avez loupé le petit chit chat de début de réunion et vous n’êtes pas dedans. »

Parité, diversité : comment la DG France essaie d’agir

Un sujet de prise en compte de la parité et de la diversité dont elle essaie de faire une politique depuis qu’elle est aux manettes. Selon elle, McKinsey France recrute 100 à 150 personnes par an et reçoit 12 000 candidatures par an (un million dans le monde).

Si 90 à 95 % de ces recrues restent issues de quelques (4 ou 5) prestigieuses écoles de commerce et d’ingénieurs très sujettes à la reproduction sociale, Clarisse Magnin-Mallez explique pousser l’ouverture vers d’autres profils, des doctorants, des designers, des data scientists.

Selon elle, se refuser à corriger un certain nombre de biais qui empêchent l’accès de plusieurs catégories de personnes à certains marchés de l’emploi par peur d’atteindre à la méritocratie est un contresens à la française.

Avant d’ajouter : « Tout le monde passe les mêmes entretiens, se fait staffer sur les mêmes projets et évaluer de la même façon. Et ce n’est pas parce qu’on est gay, noir ou first generation que ça va être plus facile. »

Conseil : le métier incompris

Autre volet du podcast : la compréhension du métier de consultant. Elle est faible, voire nulle, à l’entendre. « Les gens ne comprennent pas notre métier. Dans ma famille, les gens ne le comprennent toujours pas », s’étonne-t-elle.

Clarisse Magnin-Mallez date le début de l’essor du conseil aux années 1970, un secteur qui s’est beaucoup diversifié comme l’illustrent les nombreuses « adjacences » développées par McKinsey dans le design, le digital, les opérations, la transformation, l’IT. « On fait aussi beaucoup de conseil en transformation, en opération, beaucoup de missions dans les usines, beaucoup de conseil en informatique », énumère-t-elle.

Elle rappelle aussi que « le dirigeant est assez seul face à sa décision ». Le rôle de McKinsey ? « On amène des faits, de l’indépendance, de meilleures pratiques », résume-t-elle.

Les caricatures qui font du consultant une personne à qui vous passez votre montre pour qu’il vous donne l’heure, elle les juge « blessantes ». « Je donne souvent des parallèles : quand tu divorces, quand tu as un problème de copropriété. Personne ne se pose la question du fait que tu vas avoir besoin d’un avocat. Et que cet avocat ne va pas être gratuit et que tu en as besoin parce que son expertise n’est pas la tienne. »

La preuve, pour elle, est que « quasi toutes les entreprises du CAC40 » font appel à des consultants en stratégie, « avec des budgets plus ou moins élevés ».

Les casseroles

La direction générale de Clarisse Magnin-Mallez a évidemment été marquée par la plus forte crise réputationnelle de l’histoire du cabinet, mis au pilori en France pour son rôle dans la campagne de vaccination anti-covid, pour sa proximité avec le président de la République Emmanuel Macron ou encore pour ses missions dans le service public.

Un épisode lourd à porter, comme elle en témoigne : « Ce fut dur pour nos collaborateurs, et pas que les partners. Des gens à la compta, aux services généraux. Je venais de prendre mon poste, depuis à peine 4 mois. Un rapport sénatorial sort qui est très documenté. Mais ce qui sort dans les journaux, c’est McKinsey et le milliard d’euros. Alors que nous concentrons 10 millions d’euros de dépenses de conseil sur le milliard d’euros en question. Mais 99,9 % des articles et des tweets sont pour nous. Et, cela, tu as beau le corriger, on a essayé de faire des communiqués, on n’a pas refusé de parler aux journalistes, il n’y a plus de rationalité. »

Sur les présomptions d’optimisation fiscale irrégulière dont la justice et l’administration se sont saisies et qui ont valu au bureau de Paris une perquisition, elle réitère des arguments déjà avancés par le passé : si McKinsey paie peu ou moins d’impôts sur les sociétés en France, c’est que le marché du conseil y est plus concurrentiel qu’ailleurs ; ou encore que le coût du travail en France est supérieur à la moyenne européenne.

Pourquoi pareille focale sur un seul cabinet ? Elle se l’explique par son siècle d’existence, son influence, la prépondérance du McKinsey Global Institute, un des plus gros think tanks au monde. Mais également par une dose de mystification : « Il y a une mystification de ce qu’est McKinsey, comment on y rentre et ce qu’on y fait. »

Paradoxalement, elle considère que ces polémiques ont pu bénéficier à la notoriété de la firme. « Les recrutements ont fait +50 % », défend-elle.

D’autres moments n’ont pas été évidents à vivre, tout particulièrement sur le plan éthique comme lorsque l’ancien managing partner de la firme a été condamné à de la prison pour délit d’initié.

Pour elle, ces scandales éthiques relèvent de problèmes de « probité individuelle » qui n’incluent pas les 2 500 partners et 37 000 salariés du cabinet dans le monde.

Paris 2024

Si on savait que McKinsey était intervenu pro bono en faveur de la candidature de Paris pour l’accueil des Jeux olympiques de 2024, Clarisse Magnin-Mallez détaille à quel point elle s’est investie dans le sujet en 2016, n’hésitant pas à y consacrer une réunion hebdomadaire aux côtés de Marie Barsacq Beaudou, la directrice exécutive Impact et héritage de Paris 2024, et à associer plusieurs collaborateurs du cabinet, plusieurs dizaines ayant accepté.

Pour la suite de sa carrière, la dirigeante n’exclut rien. Elle pourrait rester encore longtemps chez McKinsey ou tenter toute autre chose en lien avec la transmission, sujet qui lui est cher.

Elle pourrait aussi prendre des fonctions de direction d’entreprise. Dans ce cas, elle l’affirme haut et fort : elle ferait à son tour appel à des stratèges. « Et je saurais très bien qui appeler. »

Note : Alexandre Mars est le fils de Dominique Mars, le fondateur du cabinet de conseil en stratégie Mars & Co.

McKinsey Clarisse Magnin-Mallez
Consultor
22 Nov. 2023 à 05:00
tuyau

Un tuyau intéressant à partager ?

Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !

écrivez en direct à la rédaction !

commentaire (0)

Soyez le premier à réagir à cette information

1024 caractère(s) restant(s).

signaler le commentaire

1024 caractère(s) restant(s).
6 - 4 =

France

  • L’ex-boss de Circle veut grandir dans la chanson
    26/04/24

    Il avait quitté Circle Strategy en septembre dernier, annonçant alors des projets dans le domaine artistique, et plus particulièrement musical. C’est chose faite. Augustin Van Rijckevorsel, dit Gus, l’un des cofondateurs (en 2019) et ex-président du cabinet, a sorti il y a quelques jours son premier single, « Rester petit », en tant qu’auteur-interprète.

  • « The (new) place to be » d’eleven
    23/04/24

    Nouveaux locaux pour les équipes du cabinet eleven, créé en 2008 et positionné à la croisée des chemins entre le conseil en stratégie, le digital, la data science et l’IA, qui a tout récemment quitté la place Victor-Hugo pour s’installer sur l’avenue Pierre-Ier-de-Serbie.

  • Ralentissement dans le conseil en stratégie : la France épargnée ?
    22/04/24

    « Les cabinets de conseil en pleine incertitude » pour Les Échos, « des vagues de licenciement et des embauches gelées » pour Le Figaro, « un avenir plus cyclique pour les consultants » selon le Financial Times… Que se passe-t-il vraiment dans le monde du conseil en stratégie ? Immersion, via plusieurs cabinets, dans des terres dont on ne peut dire pour l’instant qu’elles soient « brûlées ».

  • Chief of staff : un métier très consultant-compatible
    15/04/24

    Elle fait office de bras droit du CEO et de chef d’orchestre managérial. La fonction de chief of staff a débarqué en France il y a une quelques années seulement dans le monde de la tech et se développe à vitesse grand V. Un poste taillé sur mesure pour les profils de consultants en stratégie. Six d’entre eux nous font découvrir ce métier couteau suisse qui s’avère aussi un intéressant poste tremplin pour les alumni du conseil.

  • Strategy& : deux départs dans le partnership
    15/04/24

    Après l’arrivée/la promotion de 9 partners en 2023 chez Strategy&, 2 autres associés ont quitté récemment l’entité stratégie de PwC : le partner François Aubry, arrivé en 2022 (qui a rejoint Roland Berger), et le partner Guillaume Charly, depuis 2020 au sein du cabinet (qui ne communique pas pour l’instant sur sa nouvelle destination).

  • Après 34 ans chez L.E.K., Clare Chatfield tire sa révérence
    12/04/24

    La senior partner Clare Chatfield, entrée chez L.E.K. en 1990, à la tête de la practice Énergie et Environnement depuis 2000, a quitté le cabinet après près de 35 ans de carrière.

  • Un petit tour et puis s’en vont : départ de deux partners d’Oliver Wyman
    11/04/24

    Arrivé en février 2022, Henri-Pierre Vacher quitte le cabinet au sein duquel il co-pilotait la practice Private Capital. Autre départ notable, celui d’Hervé Collignon, chez Oliver Wyman depuis mars 2023 et qui œuvrait à la practice Communications, Média et Technologie du cabinet.

  • INSEAD 2023 : 7 top recruteurs sur 10 sont des cabinets de conseil
    10/04/24

    Disposant d’un campus historique à Fontainebleau et de 3 autres sites dans le monde, l’INSEAD publie chaque année ses statistiques d’emploi des titulaires de MBA. Quelles marques - de conseil en stratégie ou corporate - ont particulièrement recruté, dans quels secteurs d’activité et sur quelles zones géographiques ? Focus sur les cohortes de diplômés de décembre 2022 et juillet 2023.

  • Flashback : le partner français qui a changé la dimension de Roland Berger à Paris
    08/04/24

    En 2000, Roland Berger France est un cabinet de conseil en stratégie confidentiel en matière d’effectifs et de notoriété. En 2010, il a intégré la cour des grands. Retour sur le parcours de Vincent Mercier - avec le principal intéressé - pour une immersion en terres de conseil et de grandes entreprises, jusqu’au fameux pilotage des années folles du bureau de Paris.

Adeline
France
McKinsey, Alexandre mars, podcast, interview, réputation, ceo, clarisse magnin-mallez, impôt, fiscalite, recrutement
13274
McKinsey
Clarisse Magnin-Mallez
2024-01-01 10:50:56
0
Non
France: Parité, diversité, éthique, carrière : interview-fleuve de