Explosion de la facture énergétique : les cabinets sur tous les fronts

La hausse des coûts de l’énergie pour les entreprises en un an ? Entre 45 et 50 %. Intenable pour certaines qui n’y survivront pas, d’énormes enjeux de transformation en cours pour les autres. Moins consommer, mieux consommer, telle est le défi sobriété. Le joker des énergies vertes va-t-il ravir la mise ? Pas sûr.

Barbara Merle
28 Fév. 2023 à 09:09
Explosion de la facture énergétique : les cabinets sur tous les fronts
© Adobe Stock

Depuis un an, la guerre en Ukraine a fait exploser les indices de référence des prix européens du gaz et de l’électricité (et leur volatilité), respectivement multipliés par 4 et 10 pour le seul premier semestre 2022. Conséquence directe : une hausse de la facture énergétique pour les entreprises jusqu’à 50 %. À la clef, certains sites « énergivores » ont fait le choix de fermer quelques jours, voire quelques semaines ; produire coûtant plus cher que de stopper complètement la production. Et ce, avant de trouver des solutions d’urgence. « À l’échelle européenne, la crise énergétique qui a débuté mi-2021 a eu des impacts profonds et durables sur le niveau des prix, et a également suscité des craintes sur la sécurité d’approvisionnement des entreprises comme des consommateurs finaux. En conséquence, nous sommes sollicités par nos clients industriels sur l’optimisation de leurs achats d’énergie pour faire face à cette problématique de court terme » appuie Éric Confais, partner en charge de la practice Energy & Natural Resources chez Oliver Wyman à Paris.

L’inflation, un sujet de long terme

Car, effectivement, les clients des cabinets de conseil en stratégie, tous secteurs confondus, se trouvent face à une pierre angulaire inédite : si la problématique de la facture énergétique n’est pas une nouveauté, avec l’explosion des prix de l’énergie, elle est devenue le point cardinal de la pérennité de bon nombre d’entreprises, et ce dans un contexte d’engagement de neutralité carbone à horizon 2050.

Certes, depuis le début de l’année, la question de la sécurité d’approvisionnement à court terme en électricité ou en gaz est devenue nettement moins tendue en Europe. Mais l’avenir ne s’annonce pas pour autant rassurant. Car malgré le – surprenant – faible nombre de défaillances d’entreprises (41 000 en 2022 contre 55 000 en 2019), des missions de retournement pas encore massives, et la relative détente sur les marchés en ce début d’année 2023, il serait présomptueux de considérer que la tempête est passée. Et une nouvelle donne selon Marc Boilard, partner de la practice Automotive & Manufacturing Industries d’Oliver Wyman, une conséquence directe de la crise du secteur, le décalage des prix de l’énergie entre l’Europe et l’Amérique du Nord. « Ceux qui peuvent arbitrer iront plutôt investir aux États-Unis et ceux qui resteront seront désavantagés en termes de compétitivité des coûts. »

L’industrie, première victime

L’impact de la crise énergétique devrait donc se faire ressentir de façon encore aiguë cette année. Notamment parce que certains fournisseurs énergétiques, les plus petits, se sont retirés du marché, rendant plus difficile l’accès à des contrats à conditions acceptables aux PME et ETI, clients moins privilégiés des énergéticiens que les grands groupes. Avec un effet boule de neige qui peut impacter l’ensemble de l’industrie et des situations de marché pouvant être dramatiques pour certaines entreprises, y compris le pire des cas, la clef sous la porte. « L’explosion des prix de l’énergie est telle que certaines entreprises vont devoir réinventer leur business model. Certaines entreprises ne survivront qu’au prix d’une transformation radicale et extrêmement rapide. Ayant un prix de revient devenant quasiment prohibitif, nous avons récemment accompagné un fabricant d’outillages dans sa transformation vers un modèle de service », avance Victoire Alexia Berroeta, principal en charge des practices Supply Chain & Carbon Footprint d’Avencore, un cabinet de conseil dédié à l’industrie de fait particulièrement sollicité ces derniers mois sur la question de l’inflation des coûts énergétiques. Un secteur de l’industrie qui la subit de plein fouet. « L’énergie peut représenter plus de 20 % des coûts de production, notamment pour les industries de process. Nous travaillons le sujet avec deux angles d’attaque : la professionnalisation de l’achat de l’électron et l’implémentation de solutions de sobriété clés en main », complète Vincent Desportes, principal en charge de la practice EBITDA Improvement chez Avencore.

Et, selon lui, un premier défi pour les entreprises (et pour les cabinets qui les accompagnent) : maîtriser leur exposition au cours des énergies en se dotant d’outils de mesure. « Les industriels doivent se mettre en capacité de mesurer le coût énergétique de transformation de la matière à la maille de chaque référence au sein des usines, mais aussi chez les fournisseurs. »

Des surcoûts en cascade

Nouveaux dossiers énergie aussi du côté de CYLAD, cabinet historiquement spécialisé dans l’aéro. « Clairement, avec des contrats d’énergie qui ont pu être multipliés par 5, nos entreprises clientes sont confrontées à des hausses de prix qu’elles ne peuvent absorber », reconnait le principal Thomas Ehlinger. « L’aéro est généralement moins impactée par de l’inflation, car le secteur fonctionne historiquement avec des contrats de long terme avec des prix fixes, mais aujourd’hui nous arrivons à une impasse contractuelle. Bien que l’énergie représente moins de 5 % de la structure de coût global, le secteur connaît aussi une inflation sur l’ensemble des postes, notamment les matières premières, avec 30 à 40 % d’augmentation – premier secteur touché par l’explosion des prix de l’énergie. Avec des impacts moyens de hausse de coûts de 7 à 12 %, certaines entreprises aéro deviennent déficitaires. » Côté pharma, les fabricants de génériques, clients du cabinet, se poseraient même la question de l’arrêt définitif de certains produits. Et ainsi CYLAD d’accompagner ses clients de l’industrie sur des missions de compétitivité, de développement, de conservation des marges ou de pricing.

Des secteurs réputés peu énergivores, notamment les FMCG, « Fast-Moving Consumer Goods », et ses têtes de pont, Nestlé, Unilever, Danone, pour qui la note énergie représentait 2 % de la base de coûts, commencent même à l’intégrer dans leur réflexion globale de transformation. « L’énergie, dans la base de coût manufacturing, pèse globalement pour 20 % des coûts de conversion ; c’était 10 % un an plus tôt. Cette nouvelle réflexion sur l’énergie s’appuie sur trois piliers : le renouvelable électrique, le renouvelable thermique comme la biomasse, et l’efficacité énergétique », atteste Charles Sadone, principal du pôle industries de Circle. Avec des ambitions affichées pour ce secteur FMCG de baisser de 15 % les émissions, avec un doublement d’ici 2025, moins 40 % d’ici 2030, jusqu’à la neutralité carbone d’ici 2050.

L’achat d’énergie devient stratégique

Efficacité, sobriété énergétique, tels sont donc les défis à relever d’urgence dans ce contexte d’inflation de long terme des prix de l’énergie. Le cabinet Oliver Wyman répond ces derniers mois tout particulièrement à trois typologies de sujets : l’optimisation des achats d’énergie et de gestion des risques marché, la transformation des mix énergétiques vers des énergies moins carbonées ou « vertes », et l’amélioration de l’efficience énergétique des process industriels, en d’autres termes d’efficacité énergétique. Et notamment l’accompagnement à la mise en place de PPA, « Power Purchase Agreements », c’est-à-dire des contrats d’achat d’électricité à long terme. Marco Ciet précise : « Ces contrats permettent de mettre en place des modalités contractuelles pour accéder à des sources d’énergie renouvelable, par exemple pour la production d’hydrogène vert qui sera principalement produit à partir de ces sources. Nous sommes sollicités pour mettre en place de tels contrats, par exemple au service des infrastructures de production et de distribution d’hydrogène pour les usages industriels et pour la mobilité. »

La clef : professionnaliser l’achat d’énergie

L’achat d’énergie, un sujet jusqu’il y a peu plutôt marginal du côté des cabinets de conseil, du fait de la stabilité des prix, arrive aussi sur le devant de la scène. Ceux de leurs clients, non catalogués « énergie-intensifs », pour qui la ligne énergie était un achat comme un autre, se présentent aujourd’hui avec cette nouvelle double équation de l’explosion de la facture énergétique et de l’imprévisibilité. « Ces dernières années, nous travaillions peu fréquemment pour des clients industriels sur leurs achats d’énergie. L’augmentation des prix de l’énergie et de leur volatilité a changé la donne. Nous avons désormais des sollicitations, souvent en urgence, pour définir quoi faire et comment le faire rapidement. Car une chose est sûre, structurellement, les prix élevés vont perdurer, et les anciennes approches pour le sourcing d’énergie ne fonctionnent plus », analyse Marc Boilard, partner Oliver Wyman.

Certaines des entreprises clientes envisagent ainsi de mettre en place de nouveaux process et outils pour piloter différemment la fonction achats d’énergie, comme l’atteste Éric Confais d’Oliver Wyman. « Nous assistons à une professionnalisation et une hausse du niveau de sophistication de la fonction achat d’énergie, qui deviennent une problématique directement pilotée par la direction générale. L’une des réponses est de créer, au sein de certains grands consommateurs d’énergie, une nouvelle entité de gestion des risques énergie. »

Même récent gros sujet achat du côté du cabinet CYLAD. « Nous retravaillons les contrats d’achats et de ventes avec des formules de révision de prix pour sécuriser les fournisseurs et les clients, notamment sur l’évolution des prix. Pour l’un de nos clients, chaque site avait son propre contrat d’énergie, nous avons intégré les dix sites, afin de massifier les achats en interne », pointe Thomas Ehlinger. L’une des solutions : la création d’une plateforme d’achats unique pour créer cet « effet de masse ».

La chasse aux coûts

Autre levier pour les entreprises fortement impactées : la baisse de la ligne de coûts énergie. Et selon Marc Boilard d’Oliver Wyman, il est plus qu’urgent d’agir. « Il faut mettre les bouchées doubles en termes de sobriété et d’efficacité avec un double bénéfice, des dépenses moindres en euros et moins d’émission de CO2. Cela peut nécessiter de renouveler l’outil industriel, ce qui n’avait pas forcément de sens économique quand l’électricité n’était pas chère. Cela peut nécessiter aussi de modifier le calendrier et l’organisation de la production pour produire plus quand l’énergie est peu chère, par exemple la nuit et les week-ends. »

Et quand ce n’est pas possible, certaines entreprises font un choix plus radical. « Les industriels sont prêts à revoir leur cadence de production à la baisse. Un acteur BTP spécialiste du préfabriqué s’est rendu compte que son optimum OPEX passait par un processus alternatif se passant d’étuves, malgré une détérioration de sa capacité de production », ajoute Vincent Desportes d’Avencore.

Autre levier, très efficace, mais pas simple dans sa mise en œuvre, selon Marc Boilard d’Oliver Wyman : faire porter aux clients tout ou partie de l’augmentation des coûts énergétiques, alors même qu’elle n’est pas contractualisée au départ. « Nous travaillons avec les clients sur cette problématique. L’énergie est un marché au fonctionnement très complexe, avec une multitude d’indices de référence, et il est compliqué d’arriver à un chiffre juste, et il est très facile pour le client final de challenger l’augmentation proposée. Cela nécessite de la modélisation. »

Plus de sobriété des entreprises ? Pas si sûr… Contraints par la flambée des prix de l’énergie, les industriels revisitent leurs critères d’arbitrages techniques. « Là où le critère d’émission carbone intervenait de manière qualitative dans les choix de conception, le coût énergétique fait désormais partie des critères quantitatifs décisifs dans la construction d’un business plan », pointe Victoire Alexia Berroeta d’Avencore.

Avencore Oliver Wyman Éric Confais Marc Boilard
Barbara Merle
28 Fév. 2023 à 09:09
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