J’ai créé ma boîte : Ketty Six
Comment passe-t-on du conseil en stratégie à la conserverie artisanale ? Après 18 ans chez Kéa, Ketty Six a posé les bases des Sept Collines, avec son associé Christophe Barut, en 2019. Une fois passé l’intermède Covid, l’entreprise est passée à l’opérationnel fin 2020, en proposant des conserves de légumes de saison de qualité produites localement.
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Un fil directeur s’impose : l’agroalimentaire, l’un des domaines de prédilection de Kéa, et l’un des secteurs dont Ketty Six avait la charge au sein du cabinet. Au-delà de ce point commun, le contraste prédomine à première vue : entre le salariat et l’entrepreneuriat, entre un cabinet en vue et une TPE de 9 salariés, entre conseiller et agir, entre le monde des grands groupes et celui de l’artisanat.
L’envie « d’être aux manettes »
Comment s’opère une telle transformation ? D’abord par le goût de l’entrepreneuriat. « J’ai toujours eu envie de porter un projet d’entreprise, raconte Ketty Six. En commençant ma carrière chez Kéa au moment où le cabinet se créait, j’ai pu à la fois acquérir de l’expérience – le métier de consultant est merveilleux pour cela – et participer à la création d’une entreprise. »
18 ans passeront avant le passage à l’acte. « J’ai eu l’impression de ne plus apprendre suffisamment de choses nouvelles, et j’ai eu envie d’être aux manettes, de pouvoir prendre des décisions rapidement suivies d’effet. C’est le côté frustrant du consulting : le client décide, et les processus de décision dans les grands groupes peuvent être très longs ! » Pourtant, il n’y a pas que des grands groupes dans les clients du conseil en stratégie ; et le déclic viendra en partie, justement, de 2 missions conduites auprès de « grosses PME. Les clients étaient les actionnaires de leurs entreprises, et je me suis sentie proche de cette philosophie pragmatique, orientée résultat, opérationnelle. »
Ingénieure agronome de formation (AgroParisTech 2001), Ketty Six se tourne naturellement vers l’agroalimentaire, d’autant que ses fonctions de directrice en charge des équipes sectorielles « Agroalimentaire, Grande consommation et Retail », occupées les 2 dernières années chez Kéa, l’avaient amenée à évoluer dans ce secteur.
« Tout est parti d’un coulis de tomates à la montagne »
L’idée de se lancer plus précisément dans la fabrication artisanale de conserves de produits de saison est venue « lors d’un hiver à la montagne. Mon futur associé, un ami de longue date, était venu avec ses conserves de coulis de tomates, cuisinées l’été précédent avec des tomates achetées directement chez le producteur ». Pour répondre à la demande, les supermarchés regorgent toute l’année de produits qui ne poussent sous nos latitudes qu’à certaines périodes. Ces fruits et légumes sont soit importés de loin, soit cultivés sous serre chauffée. Or, le duo avait la solution sous les yeux : « La conserve sous verre permet de consommer toute l’année des produits de toutes les saisons. C’est une approche vieille de 250 ans, et qui reste une très bonne technologie quand on la pratique de façon artisanale. »
Restait à passer à l’acte. « Il était important pour nous d’avoir notre propre outil de production, de ne pas être juste une marque. C’est ainsi que nous avons créé la seule conserverie de Paris, porte d’Aubervilliers. Nous nous approvisionnons essentiellement auprès de producteurs situés à proximité — 95 % des produits que nous transformons proviennent d’un rayon de 200 kilomètres. Et nous bénéficions du plus grand bassin de consommation en France, la région parisienne. » Les légumes sont donc achetés directement aux maraîchers et sont cuisinés sur place, sans conservateurs. L’entreprise reçoit le soutien de la région Île-de-France, et devient « entreprise à mission » fin 2023.
La conserverie emploie pour le moment 9 personnes, dont 3 en cuisine — « 3 et demi si je compte mon associé, qui y travaille la moitié de son temps pour développer de nouvelles recettes, essayer de nouveaux formats et maintenir la qualité », précise Ketty Six. L’une des originalités de l’offre de l’entreprise est d’ajouter, aux tartinades plus « classiques » de légumes d’été, des produits à base de légumes d’hiver considérés comme moins « sexy », comme le navet, le poireau, le brocoli. « Notre meilleure vente est une tartinade de champignons de Paris, récompensée d’un prix Épicures. Il s’agit toujours de légumes très simples, que nous nous efforçons de sublimer par nos recettes. » La conserverie propose aussi des soupes et ne se limite pas aux légumes : ses rillettes de poulet épicé ont aussi obtenu un prix Épicures.
L’entreprise a fait le choix de distribuer ses produits en « B2B2C, par le biais de circuits plutôt sélectifs », auprès des épiceries fines, des boutiques duty free, mais aussi l’hôtellerie haut de gamme, les guinguettes et l’événementiel. « On trouve nos produits dans des paniers pique-nique à Roland Garros, et nos soupes sont à la carte des restaurants de vente à emporter de la Tour Eiffel. Une belle fierté, car c’est le fruit d’une sélection par un jury présidé par le chef doublement étoilé Thierry Marx. Notre but est de garder une image sélective des produits et de continuer à bien rémunérer les agriculteurs. » Pas de grande distribution pour le moment, donc ? « La grande distribution sera certainement une étape de notre développement, mais pas nécessairement avec cette marque. Cela reste un sujet à mûrir. »
Des vertus du métier de consultant pour entreprendre
En quoi un parcours au sein d’un cabinet de conseil en stratégie prépare-t-il à ce genre d’expérience ? « Kéa était déjà une aventure entrepreneuriale, rappelle Ketty Six, avec toute l’effervescence que cela suppose. J’étais actionnaire, on nous partageait les chiffres en temps réel, avec les bonnes comme les mauvaises nouvelles… Il ne s’agissait pas non plus que de stratégie. Il fallait aussi être très pragmatique et gérer les petites tâches. Le jour de mon arrivée, j’ai été chargée de faire les plans des locaux en positionnant les prises électriques ! Encore aujourd’hui, lorsque je rencontre de nouveaux problèmes dans la stratégie ou la gestion de l’entreprise, il m’arrive de me demander : “Qu’auraient fait les associés fondateurs de Kéa ?” »
Bien des dimensions du métier de consultant se sont avérées précieuses. D’abord, « le fait de bien savoir poser un problème » pour pouvoir ensuite « structurer sa démarche ». Mais aussi la curiosité intellectuelle, « le fait de ne pas avoir peur d’apprendre de nouvelles choses, de savoir s’immerger dans un nouveau sujet. Cela me sert bien dans ma vie d’entrepreneure, où tous les jours, je fais des choses que je ne savais pas faire la veille ».
Autre compétence transférable : « Savoir “pitcher” et convaincre, à la fois à l’oral et à l’écrit. » Un savoir-faire qui s’est avéré utile pour obtenir le prix du Réseau Entreprendre Paris en 2022 par exemple. Dernier point : « La capacité à modéliser, à analyser le réel, sans avoir peur d’utiliser des chiffres, de poser des ordres de grandeur. Une compétence que l’on utilise tous les jours quand on devient entrepreneur. »
Apprendre à demander de l’aide, savoir prendre des risques
Pour autant, tout ne s’apprend pas en cabinet de conseil en stratégie, et certaines lacunes se sont révélées une fois au pied du mur. La capacité à « aller chercher de l’aide à l’extérieur » en particulier. « Dans le conseil, on a tendance à vouloir trouver tout seul la solution à tout. En devenant entrepreneure, j’ai dû apprendre à mobiliser un réseau, à demander des services… Je l’ai appris parce que je n’avais pas le choix, mais ce n’était pas naturel. Heureusement, mon associé avait davantage cette culture-là. »
Ketty Six mentionne une autre lacune, un peu moins évidente : la culture financière. « Dans le conseil en stratégie, on traite beaucoup de la partie économique, mais pas forcément de la partie financière. » Le rapport à l’action est aussi différent. « Dans l’entreprise, on passe moins de temps à formaliser sa démarche et à suivre des étapes. On va plus vite à l’action. Mais cette dimension-là s’apprend très vite. » Un apprentissage à mettre en lien avec l’acceptation du risque. « Le métier de consultant est averse au risque. Mon associé, qui était auparavant avocat, directeur juridique de grands groupes, mais aussi chef à domicile, m’a aidé à me défaire de ces réflexes. Il faut savoir se dire que le pire peut arriver, mais que le pire n’est jamais sûr ! »
D’un engagement à l’autre
Globalement, on le voit, la cofondatrice de Sept Collines conserve un bon souvenir de ses années de consulting. Certains aspects lui manquent-ils ? « L’émulation intellectuelle, certainement. Dans le conseil, nous sommes toujours en veille de nouveautés, et les interactions avec les collègues, les équipes, les clients sont très stimulantes. » Mais aussi « l’esprit de Kéa ; j’ai quitté le cabinet par désamour du conseil, mais la culture d’entreprise de Kéa me plaisait beaucoup ».
Cet engagement pour son entreprise, l’ex-partner de Kéa le vit désormais au quotidien. Un changement d’univers qui ouvre de nouvelles perspectives. « Dans la vie d’une petite entreprise comme la nôtre, on rencontre une diversité d’origines et de profils qui fait largement défaut dans le conseil. Cela ressemble davantage à notre société ! »
Quelle prochaine étape pour les Sept Collines ? D’abord, « continuer à grandir », avec l’objectif d’un doublement annuel du chiffre d’affaires. Sera-t-il possible de continuer à produire à Paris si la croissance se poursuit ? La question se posera à l’avenir, mais pas avant 2 ans, estime Ketty Six. « Nous souhaitons devenir une marque de référence dans l’épicerie fine, comme Poilâne ou Mariage Frères », mais aussi « nous développer davantage dans l’hôtellerie, les guinguettes, les lieux touristiques — nous sommes vendus en boutique de musées, par exemple », en capitalisant notamment « sur la dimension “fait à Paris” ». Également au programme : développer Lafrenchi, « une marque de pâtes à tartiner sucrées que nous avons reprise il y a 2 ans ». De quoi mobiliser l’énergie de l’ancienne consultante au cours des années à venir.
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