L.E.K., Bain : comment le CEO de Webhelp a fait ses classes dans la stratégie

 

Il a fait de sa start-up, créée en 2000, l’une des rares licornes françaises.

Olivier Duha, 51 ans, s’imaginait explorateur lorsqu’il était enfant, a été consultant chez L.E.K. Consulting puis Bain & Company, avant de devenir un entrepreneur à succès. Il est le CEO cofondateur de Webhelp.

Barbara Merle
09 Oct. 2020 à 05:00
L.E.K., Bain : comment le CEO de Webhelp a fait ses classes dans la stratégie

 

Webhelp est née en juin 2000 alors que le monde connaît l’éclatement de la bulle internet entraînant la chute du Nasdaq, et la crise mondiale qui s’est ensuivie durant plusieurs années. L’histoire aurait donc pu très mal commencer pour les associés-fondateurs, Olivier Duha et Frédéric Jousset, deux consultants de Bain qui ont eu l’idée Webhelp. Le Bainie d’alors avait fait recruter l’éclectique Frédéric Jousset seulement quelques mois plus tôt, un sous-lieutenant du 6e RPIMA de Mont-de-Marsan, passionné d’art, passé par L’Oréal comme senior brand manager, avant de créer en 1998 sa première entreprise de management software, Clientis. « Ma dernière mission, un véritable projet entrepreneurial pour un grand groupe de consumer goods, m’avait conforté dans l’idée que je voulais créer quelque chose. Mais je n’avais aucune idée du business. Avec Frédéric, nous nous sommes dit que nous ne voulions pas regarder passer le train de la grande épopée du dot com et que c’était un moment unique pour le faire. Sans idée préconçue sur ce que nous voulions lancer, nous avons effectué un véritable travail de brainstorming de consultant », se souvient Olivier Duha.

E-bibliothécaire

Et c’est sur un terrain de golf, un dimanche après-midi de fin 1999, qu’ils ont laissé libre-cours à leur intuition. De ce brainstorming en duo est né un constat : le processus de recherche internet était très compliqué pour la grande partie des utilisateurs les moins aguerris. « L’internet est une formidable bibliothèque, mais il n’y avait pas de bibliothécaire virtuel, c’est-à-dire un moteur de recherche humainement assisté. Nous avons fait des recherches sur ce qui existait dans le domaine et nous sommes tombés sur une société canadienne, Webhelp.ca. Quelques jours plus tard, nous avons rencontré son fondateur qui nous a d’emblée proposé de nous occuper de la France avec un marché : il prenait 20 % du capital, mettait à notre disposition l’ensemble des données, contre un investissement de notre part de cinq millions de dollars. Nous avons démissionné sur-le-champ de Bain ! » L’entreprise est lancée en juin 2000 grâce au fonds de Bernard Arnault (Europ@web) et à quelques business angels, dont le boss qu’il vient de quitter, Olivier Marchal, chairman-fondateur de Bain, et un autre partner de Bain, Bruno Lannes (cf. interview d’Olivier Marchal en fin d’article). L’idée initiale de Webhelp, de moteur de recherche assisté, devra cependant vite évoluer face à l’explosion du géant du secteur, Google... Les cofondateurs procéderont à un pivot de taille en 2003 en réorientant leur entreprise vers la gestion de la relation clients et une offre de centres d’appels dans des pays à bas coûts…

Le choix du conseil

Olivier Duha, originaire de Dax, dont le père autodidacte a monté des business dans le secteur de la chaussure et du prêt-à-porter, s’est lui rapidement engagé dans la voie du conseil : École supérieure de commerce et de management à Tours/Poitiers en 1992, Audencia Nantes École de management, pour un master management, conseil et ingénierie, en 1993. « À l’époque, Audencia était une nouvelle filière de master spécialisé pour ceux qui voulaient se préparer à renter dans les cabinets de la place. Le réseau des Sup de Co était encore très puissant, il y avait moins de concentration. J’ai aussi pu réaliser mon stage de fin d’études chez L.E.K. qui m’a proposé de me garder ; le seul à avoir cette chance parmi les trois stagiaires que nous étions. J’ai donc commencé classiquement comme junior analyst. »

L’expérience private equity chez L.E.K.

Le bureau parisien de L.E.K. Consulting est alors un tout jeune bureau, ouvert quatre ans plus tôt, comptant une vingtaine de consultants seulement (80 aujourd’hui), « un spin off de Bain et du BCG où j’ai été lancé dans le grand bain tout de suite ». Il restera dans ce cabinet durant quatre années, dont un an au bureau de Sydney, avec des missions avant tout de private equity, le cœur de métier du cabinet, mais aussi sur des problématiques d’investissements à long terme ou de positionnement strat’ axé sur le marketing mixte. « Au départ, je travaillais surtout sur du pricing, par exemple pour le parc Eurodisney qui s’installait en Europe. Un vrai challenge intellectuel, de l’analytique, de la modélisation, de crack the case… Et puis, j’ai encore eu la chance d’être proposé pour un transfert à Sydney où j’ai avant tout travaillé pour l’industrie minière et comme l’un des consultants pour l’équipe européenne. » C’est chez L.E.K. qu’il rencontre son premier boss, son premier mentor, Rémy Ossmann, aujourd’hui senior partner, membre du comité de direction européen. « Il est celui qui m’a aidé à réussir dans ce métier avec patience et exigence. Cette rencontre fait partie de celles qui changent un destin, une carrière, une trajectoire. » En 1997, Olivier Duha effectue alors un MBA à l’INSEAD, « c’était bien vu pour passer à l’étape au-dessus » (cf. article ici).

Le déclic de l’entrepreneuriat chez Bain

À l’issue de cette année, il reçoit une proposition de Bain. « Un crève-cœur, un choix cornélien » pour le consultant qui se dit avoir été très attaché à son premier cabinet avec sa culture si spécifique, « une culture de l’exigence analytique, une approche de conseil facts-based, pragmatique et résolument tourné vers l’action ». Son profil et son expérience en due diligence le portent naturellement vers cette practice chez Bain. Il y conseille de grands groupes industriels de consumer goods sur de nouvelles gammes de produits ou sur l’évolution de leur positionnement, et de façon plus ponctuelle dans le secteur de l’énergie, pour lequel il reconnaît avoir moins d’appétence. C’est sa dernière mission pour Bain qui l’a le plus marqué, le déclic pour son aventure Webhelp. « C’était de l’intrapreneuriat pour un grand groupe de consumer goods qui souhaitait développer une business unit, une start-up, pour lancer une gamme de produits tout à fait nouvelle. Nous avons monté le projet de A à Z, j’avais l’impression de monter ma propre boîte ! C’est à ce moment-là que m’est apparue l’évidence de me lancer pour moi-même. » C’est dans ce cabinet qu’il croise aussi le chemin de son deuxième mentor, « un inspirateur », Olivier Marchal, le chairman France du cabinet (ici et ici) (cf. interview ci-dessous). « Il a à la fois un enthousiasme, une capacité à fédérer, des qualités relationnelles et une volonté de transmission exemplaires, assez uniques. »

Webhelp, au cœur de la mondialisation

Depuis sa création il y a vingt ans, Webhelp a dû inventer trois ans plus tard une nouvelle offre : l’externalisation de la gestion de la relation client et des processus métiers en proposant des call centers externalisés, une pionnière dans des pays à bas coûts, comme en Roumanie, à Madagascar ou au Maroc. Début 2019, moins de 10 % des sites Webhelp sont basés en France, même si l’entreprise affiche quelques recrutements sur le territoire national. Fin 2019, le centre d’appels Webhelp de Tourcoing, ouvert en 2018, a recruté 120 personnes, celui de Montceau-les-Mines, 97 téléconseillers. Une entreprise française, certes, mais qui réalise l’essentiel de son activité à l’étranger. Olivier Duha reste un fervent défenseur de la mondialisation et du libre-échange. « Il est essentiel de ne jamais perdre de vue que la mondialisation ne rend pas une nation compétitive par nature, c’est la compétitivité d’une nation qui lui permet de jouir du potentiel de la mondialisation. Imaginer un monde démondialisé n’a ni sens ni avenir. »

L’entreprise annonce être aujourd’hui le leader européen dans son domaine : 1,6 milliard de chiffre d’affaires en 2019, 65 000 collaborateurs dans 49 pays, 150 centres de production. Webhelp a intégré le cercle plus que fermé des licornes françaises. Pour atteindre la taille critique, les acquisitions dans son secteur se sont succédé, à l’instar du Britannique HEROtsc, devenu Webhelp UK, mais aussi des acteurs indirects, comme le leader français de la modération internet Netino. Par ailleurs, des investisseurs de poids ont investi dans Webhelp : le Britannique Charterhouse, puis KKR (55 % du capital), puis en novembre dernier, Groupe Bruxelles Lambert (GBL) qui a racheté le bloc détenu par KKR. Les deux fondateurs conservent 40 % du capital de leur licorne.

Clin d’œil à sa vie d’avant, lors de cette récente opération, « Bain était le conseil de GBL pour la due diligence, McKinsey le conseil de Webhelp pour la vendor due diligence ».

Le conseil, vivier de talents

D’ailleurs, le monde du conseil reste toujours très présent dans le quotidien de l’ex-consultant. En effet, Olivier Duha débauche régulièrement des consultants ou des ex-consultants, comme Alexandre Fretti, alumni de McKinsey, dont nous réalisions le portrait ici, ou plus récemment, Kate Miller, « ma chief of staff depuis septembre, ex-McKinsey » (de 2011 à 2015) et Édouard de Ménibus, « notre directeur de The Nest depuis juin, entité dédiée aux start-up, un ex-Greenwich Consulting-EY » (de 2008 à 2011). Sans préférence, selon lui, pour des cabinets de conseil en particulier, parce que « nous recrutons des personnalités avant des expertises », même si McKinsey et Bain tiennent le haut du pavé des recrutements. Le conseil en strat’ est donc un excellent vivier pour cette licorne. « Ce sont des talents, avec une formation fast track, issus d’écoles d’excellence, avec un Q.I. élevé – mais pas toujours un Q.E. élevé en revanche ! –, de fortes capacités analytiques, de travail et dotés d’une énorme curiosité intellectuelle. Nous ne recrutons que rarement des seniors qui ont passé quinze ans en cabinet, mais plutôt des profils mixtes conseil-expériences en entreprise âgés de 28 à 30 ans. »

Webhelp fait appel au conseil

Olivier Duha fait également régulièrement appel aux cabinets de conseil lors des grands choix stratégiques pour sa propre entreprise, « un outil d’aide efficace à la décision, une façon aussi de se faire challenger ». Des cabinets de conseil appelés principalement sur des missions de fusion-acquisition, de LBO (il en a effectué cinq), du business ou de la corporate strategy, « pour nous aider à imaginer les grandes tendances de demain et à rester compétitifs d’ici cinq à dix ans », mais aussi des missions ponctuelles d’optimisation. Ainsi, ses cabinets de cœur, L.E.K. et Bain, se retrouvent régulièrement en concurrence avec Roland Berger ou McKinsey. Comment se font les choix ? « On ne fait pas d’appel d’offres, mais on fait pitcher des cabinets prédéfinis en fonction du sujet. Car tous ces cabinets récurrents ne sont pas bons sur tous les sujets ! »

Ce grand sportif, habitué des raids à ski et des sorties cyclistes de 100 kilomètres, amateur de grands crus (certifié par le Wine & Spirit Education Trust, leader mondial des formations et qualifications des vins et spiritueux) reste un homme de challenge. Car, en cette période de crise sanitaire et économique, il continue de s’atteler au développement de Webhelp. Son objectif : « Faire de Webhelp un leader mondial incontesté, mais surtout et avant tout, une entreprise built to last. »

Quatre questions à Olivier Marchal, chairman-fondateur de Bain

Olivier MarchalConsultor : Vous recrutez Olivier Duha en 1998. Il a 29 ans. Quels souvenirs gardez-vous du jeune consultant d’alors ?

Olivier Marchal : Je l’ai rencontré lors du process classique de recrutement à l’INSEAD et il avait passé toutes les étapes. Il est un consultant 5*, une étoile filante chez Bain où il aurait pu faire une très belle carrière. Il en a toutes les qualités, analytiques, de communication, avec un bel esprit d’équipe, doté d’un bon sens du jugement, et en plus, une véritable vision du leadership et du business qui a fait de lui le grand Monsieur de l’entrepreneuriat qu’il est aujourd’hui. Ce qui m’a particulièrement frappé lors de nos premières rencontres, ce sont ses qualités humaines. Il est très attachant avec beaucoup d’empathie et dégage une vraie énergie.

Consultor : Comment avez-vous réagi lorsqu’il vous a annoncé, avec un autre Bainie, Fréderic Jousset, qu’il quittait le cabinet pour lancer son entreprise, Webhelp ?

Olivier Marchal : Une surprise et une déception. Une surprise car ils ont décidé cela très vite. Une déception car nous étions à une époque très particulière, juste avant l’éclatement de la bulle internet avec un taux de turn-over record dans les cabinets de conseil. Cela ne m’a pas empêché, avec un autre partner de Bain, Bruno Lannes, d’investir personnellement dans le capital de Webhelp. J’étais très enthousiaste sur son projet même s’il a dû rapidement procéder à un pivot. Au moment du premier LBO, en 2003-2004, les investisseurs initiaux ont dû sortir pour faire place aux financiers. Et à mon grand regret d’ailleurs ! Je reconnais que j’aurais préféré rester ! Nous sommes pourtant toujours restés en contacts réguliers, entre autres, sur les missions qu’il nous confie, ou encore sur les terrains de golf, notre passion commune, où nous devisions sur tout et rien… Et même si nous nous voyons moins régulièrement depuis qu’il s’est installé en Belgique, nous prenons toujours plaisir à échanger.

Consultor : Il recrute depuis dans le vivier de Bain en débauchant des consultants. Comment le prenez-vous en tant que patron ?

Olivier Marchal : Il ne le fait pas de façon excessive ! C’est d’ailleurs souvent le cas des anciens de Bain, devenus entrepreneurs, qui veulent attirer de bons talents. Quitte à ce qu’ils partent, autant qu’ils aillent chez des amis !

Consultor : Est-ce une plus-value pour Bain de compter une success-story montée par deux anciens Bainies ?

Olivier Marchal : Ce n’est pas une plus-value en tant que telle, mais bien un motif de fierté que d’avoir eu comme consultants deux hommes, avec Frédéric, qui ont eu ce parcours à succès. Un parcours d’ailleurs qui est loin d’être terminé, car Olivier a des ambitions très élevées. J’aime à penser que leur expérience chez Bain a été un facteur contributif de ce succès.

Barbara Merle pour Consultor.fr

Crédit : open space Webhelp.

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