Beendhi : le pari flexitarien d’un binôme Kearney-McKinsey

Sa vie d’avant, dans le conseil en strat’, lui semble très loin. Beena Paradin Migotto, manager chez Kearney, en est partie il y a quatorze ans maintenant. Après une expérience chez Conforama, elle fait du conseil comme indépendante dans le secteur alimentaire.

En 2013, l’ex-consultante fonde Beendhi, spécialiste de préparations culinaires végétales bio. Son mari, Yannick Migotto, lui aussi ex-consultant chez McKinsey, l’a rejointe il y a maintenant trois ans, comme DG. Leur stratégie flexitarienne – ce mot-valise parfois appelé semi-végétarien – porte ses fruits.

Barbara Merle
30 Jui. 2020 à 19:40
Beendhi : le pari flexitarien d’un binôme Kearney-McKinsey

Beena Paradin Migotto et Yannick Migotto, tous deux consultants jusqu’au milieu des années 2000, respectivement chez Kearney et McKinsey, se sont lancé plusieurs défis : celui de l’alimentation végétale bio et du bien-manger. Le tout dans une démarche RSE volontariste.

Six ans plus tard, et après une levée de fonds de 4 millions d’euros en 2019 pour accélérer le développement de son offre et de son modèle de production, beendi | beedeli vend cinq millions de portions par an et compte vingt-cinq collaborateurs. Le chiffre d’affaires a explosé en trois ans seulement d’existence. En 2017, l'entreprise a été lauréate du prix Ambition du Réseau Entreprendre, qui accompagne les entrepreneurs à fort potentiel de développement et de création d’emplois.

La découverte du conseil

Une success-story qui vient de loin. Beena Paradin Migotto a aujourd’hui 46 ans. Née au Kerala, en Inde, élevée en banlieue parisienne, la jeune fille a grandi dans les plats indiens, aux couleurs arc-en-ciel et aux saveurs épicées que préparaient sa mère, une excellente cuisinière, qui a transmis la notion du bien-manger à ses enfants. Après un DEUG de mathématiques appliquées et d’économie à Paris-Dauphine, Beena Paradin Migotto obtient un MBA à l’ESSEC en 1997. Alors que rien ne la prédisposait au conseil – un père fonctionnaire, une mère au foyer, un frère ingénieur, une sœur devenue avocate –, c’est dans cette école de commerce qu’elle découvre le métier de consultant et les portes qu’il ouvre sur une multiplicité de secteurs, de métiers, d’univers…

Elle fait ses premiers pas de consultante au sein du cabinet séculaire, Arthur D. Little. Elle y rejoint le bureau de Paris où elle restera de 1997 à 2000. Les grandes spécialités sont alors les télécoms et consumer goods & retail.

« J’ai eu avant tout à y réaliser des missions autour des problématiques de concurrence des télécoms et de modélisation des économies du secteur au regard des nouveaux entrants dans une période où l’on assistait au développement massif des opérateurs. »

« À la sauce » Kearney

Trois ans plus tard, elle a envie d’aller vers des structures de conseil plus grandes « avec des missions plus opérationnelles ». Et au gré de rencontres fortuites avec des consultants de Kearney, elle intègre le cabinet début 2001 – où elle restera cinq ans et demi.

Elle y atteindra le grade de manager. Elle y poursuit des missions sur ce qu’est devenue sa spécialité puis sa practice de rattachement : les télécoms. Chez Kearney, elle intervient beaucoup à l’étranger, en Allemagne et au Royaume-Uni tout particulièrement.

Mais, déjà, comme consultante, l’envie d’être plus opérationnelle au sein d’une entreprise la tenaille : « Je cherchais même déjà la bonne idée pour me lancer. » Elle quitte donc le conseil pour d’abord devenir directrice stratégique de Conforama entre 2006 et 2008. « Ce poste était un bon sas, assez classique finalement, entre le conseil et l’entreprise. Je cherchais ce type de poste et cela m’a semblé intéressant de voir ce qu’il se passait sur le marché du retail en France au moment où le géant Ikea se développait en France. Avec la question majeure qui se posait alors : comment fait-on face à une telle concurrence ? Les acteurs traditionnels, comme Conforama, étaient en phase de stagnation. Il fallait redéfinir de nouveaux leviers pour retrouver le chemin de la croissance, notamment en trouvant une stratégie de modernisation de marque. »

L’aventure ne dure que deux ans. En 2008, Beena Paradin Migotto, décide d’être seule cheffe à bord, et quitte l’enseigne de mobilier et d’objets de décoration pour créer sa première entreprise. Nilgiri Partners, fondé en 2008, était un cabinet de conseil jusqu’en 2012 « dédié au développement d’activités entre la France et l’Inde ». Depuis, la structure est devenue un véhicule d’investissement dans des projets alimentaires et de vente au détail innovants, qui aident à faciliter l’accès à des offres pratiques, saines, savoureuses et durables pour les consommateurs. Une façon de revenir à sa madeleine de Proust, l’alimentation. Cette curieuse de nature, ouverte au monde et à des mondes bien variés a parallèlement repris le chemin des classes pour décrocher deux nouveaux diplômes : design et histoire du lifestyle à l’École Boulle (2009), Hindi à l’Institut national des langues et civilisations orientales (2011).

Une offre rapide et sur mesure pour les flexitariens

C’est à cette période qu’elle finit par trouver « sa » bonne idée : le « bien-manger du quotidien ». Elle part de plusieurs constats : l’essor du végétarisme (le marché du vegan et du végétarien a crû de + 24 % en 2018 selon Xerfi) et la difficulté à cuisiner ce type d’aliments pour la plupart des gens.

Elle constate aussi que faire des plats végétariens, « ce n’est pas juste enlever la viande ou le poisson. La plupart du temps les gens ne savent pas quoi cuisiner, ou alors ils se jettent sur un morceau de tofu. Il faut apprendre à reconstituer une nouvelle assiette avec des céréales, des légumineuses, des légumes, des herbes et des épices ».

Une démarche qui ne se veut pas pour autant militante, mais qui souhaite répondre à toute une catégorie de personnes, les flexitariens, qui ont décidé de diminuer leur consommation de viande/poisson à une ou trois fois par semaine, et qui veulent continuer à se faire plaisir.

« Ces personnes-là, notre cible, sont de plus en plus nombreuses elles représentent un tiers de la population rentrent dans une nouvelle logique : à la fois réduire leur impact écologique et prendre soin de leur santé. »

Pour répondre à cette cible à fort potentiel, la stratégie mise en place par les anciens consultants est de miser sur deux marques.

Beendi est prévue pour le réseau bio spécialisé et beedeli, pour la grande distribution. Ces deux marques sont« composées avec mon prénom et d’autres noms : bindhi est un nom de légumes en hindi, donc végétal, et deli, comme délicieux ». Deux marques pour deux cibles distinctes : les écolo-bio proactifs et les végétariens « débutants ».

Quand d’anciens amis du conseil investissent dans beendi

Une recette qui fonctionne et donne au début de carrière dans le conseil des airs de préhistoire. Sauf, ponctuellement, quand les outils appris en cabinet sont précieux (analyse, méthodologie, organisation, structuration).

De même du réseau qu’elle en garde, « des gens qui ont des compétences diverses et variées », auprès de qui elle continue à aller puiser conseils et retours d’expérience. Certains anciens partners ont même investi chez beendi | beedeli.

Surtout, le conseil lui a apporté un associé de choix, un partenaire dans la vie et dans le travail, nul autre que son mari.

Yannick Migotto, HEC 1997, devenu associate principal chez McKinsey où il est resté entre 1998 et 2005, est arrivé dans l’aventure beendi et beedeli en 2017. Il a auparavant travaillé au sein du Groupe Casino (2007-2010), puis est parti chez Amazon comme directeur des consommables entre 2015 et 2016, avant de fonder ExclusiveMotion, une société go-to-market spécialisée dans l’alimentation. En rejoignant beendi et beedeli comme DG, il a en charge l’ensemble des ventes et des opérations.

Ceci dit, la vie d’ex-consultante ne fait pas tout, tant s’en faut. Pour porter la croissance de beendi et beedelii, Beena Paradin Migotto a puisé dans son enfance et a développé ses compétences de cuisinière professionnelle. Elle concocte elle-même ses recettes, une trentaine à ce jour, pour la plupart avec une note indienne et un principe : un minimum de préparation et de cuisson, entre huit et quinze minutes. Galettes de pois chiches et autres lentilles corail aux épinards façon Cachemire sont présentes dans 1 500 points de vente bio et dans 500 points de vente en GMS, dont la CEO gère aussi la R&D et le marketing.

Et son engagement va plus loin que le seul entrepreneuriat. Très impliquée dans le développement durable, Beena Paradin Migotto est par ailleurs membre du conseil d’administration du Synabio depuis 2017, syndicat professionnel du réseau d’entreprises bio de l’agroalimentaire.

Fière de ses racines indiennes, Beena Paradin est enfin membre du Club XXIe siècle dont l’ambition est de contribuer à changer la société grâce à la diversité. Où par un concours de circonstances, elle a pu côtoyer un autre ancien de McKinsey : Jacques Galvani, qui en était président jusqu’à fin 2019 et vient d’être élu au Conseil de Paris. De quoi, peut-être, se donner des idées pour l’avenir.

Barbara Merle pour Consultor.fr

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Barbara Merle
30 Jui. 2020 à 19:40
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