Stratégie en province : hors de Paris ce n'est pas le déluge !

10% du conseil en stratégie est réalisé en province auprès des PME, des ETI, des collectivités territoriales, et quelques grands groupes.

Les prix ne sont pas identiques, les clients moins importants, le volume de marché plus restreint, mais le contenu est au moins aussi intéressant, disent à Consultor Jean-François Lecole, Yves Morot-Sir, et Pascal Gustin, les dirigeants de Katalyse, Imhotep, et Algoé, trois cabinets domiciliés hors de Paris.

Benjamin Polle
23 Aoû. 2012 à 12:27
Stratégie en province : hors de Paris ce n'est pas le déluge !

Les plus grosses entreprises sont les premiers clients et elles sont toutes à Paris

En matière de domiciliation en France, les grandes marques de la stratégie ne font pas dans l'originalité : Paris, Paris et encore Paris. Sur les 24 cabinets recensés sur notre annuaire, 22 quadrillent les alentours du Trocadéro, de la place de l’Étoile et du huitième arrondissement.

Jean-François Lécole, PDG de Katalyse"C’est le tropisme de la France en général. Selon une étude non scientifique que nous avons menée en interne, 90% du marché du conseil en stratégie se situe en Île-de-France. Et ce parce que le plus gros des prestations émane des plus grandes entreprises, et que 90 des 100 premières entreprises françaises sont elles aussi domiciliées à Paris, à l’exception de quelques contre-exemples notables comme Michelin ou Casino. Les deux phénomènes cumulés font que le marché est à Paris", explique Jean-François Lecole, le P-DG de Katalyse, une société de conseil en stratégie, qui s’est dotée de bureaux à Lyon, Nantes, Strasbourg, Toulouse…et Paris, où se répartit une trentaine de consultants. Même si, concède-t-il, "cela génère des coûts fixes et de la logistique en plus". Paris et le désert français, le célèbre ouvrage de Jean-François Gravier écrit en 1972 semble s’appliquer encore mieux qu’ailleurs au secteur du conseil en stratégie en France.

"Sur les 100 premiers cabinets de conseil français, cinq tout au plus n'ont pas pignon sur rue à Paris. Les activités de conseil en France sont l'exact reflet de l'hyper centralisme du pays" confirme Pascal Gustin, délégué du Syntec Management en Rhône-Alpes et P-DG d'Algoé. Le cabinet de conseil en management, qui aime à se présenter comme le plus vieux de France, compte 70 consultants à Paris et une centaine à Écully, dans l'agglomération lyonnaise. "15 à 20% de nos prestations concernent du conseil en stratégie".

Voilà pour la première impression : La concentration de la demande et des donneurs d’ordre ne laissent sur le papier que des miettes pour les autres régions, grosso modo 10% du total.

Deux poids, deux mesures

"Il n'y a pas que Paris et la province, nous pouvons travailler également de région à région comme dans le cas du rapprochement d'un réseau de mutuelles. De même, des commandes peuvent être passées en Rhône-Alpes mais être réalisées en région parisienne. En règle générale cependant, 30 à 60 % de notre chiffre d'affaires provient de donneurs d'ordres domiciliés à Paris", pondère Yves Morot-Sir, directeur général d'Imhotep, un cabinet de conseil en stratégie installé il y une vingtaine d'années à Lyon, qui devrait cette année atteindre deux millions de chiffre d'affaires et compte 12 consultants dans ses rangs. "Nous avions une agence à Paris que nous avions ouvert à la demande d'un grand compte, PSA en l'occurrence. Elle n'existe plus aujourd'hui", se souvient-il.

D'autres se redéploient en fonction de l'activité. "Nous avions une antenne à Rouen et à Marseille, et une est encore ouverte à Chambéry. Mais elles sont à chaque fois tenues par des travailleurs nomades au gré des plus grosses missions. En France, seuls l'Île-de-France et le Rhône-Alpes, dans une moindre mesure, ont la masse critique pour que des entreprises de conseil s'y développent", dit Pascal Gustin. 

"La taille moyenne des missions dont s’occupent McKinsey ou le BCG s’élèvent en moyenne à plusieurs centaines de milliers d’euros, voire un million, alors que celle de Katalyse ne dépasse pas les 25 000 euros. Et chez eux la tarification affichée est à 3 500 euros la journée, pour 1 200 euros chez nous. La discrimination entre ces deux strates du conseil en stratégie est là : non pas entre Paris et la province mais entre grands groupes et activités de plus petite échelle", détaille Jean-François Lecole.

La fourchette est plutôt "entre 30 000 et 200 000 euros" par prestation de service chez Imhotep mais l'approche est parfaitement similaire. "Nous ne raisonnons pas en fonction du secteur d'activité de nos clients mais essentiellement en fonction d'une typologie des gouvernances. C'est une nécessité en province où les chiffres d'affaires sont beaucoup plus fractionnés, ce qui nous oblige à ratisser serré. Nous partons strictement du modèle économique de nos clients et notre valeur ajoutée est de le réaligner sur son marché", analyse Yves Morot-Sir.

Des missions et des clients différents

Imhotep classifie sa clientèle en trois catégories :

  1. Yves Morot-Sir, DG ImhotepETI familiales ou ETI en développement où le cabinet travaille principalement à ce qu'il appelle "la reprenabilité des entreprises" [des entreprises dans lesquelles la question de la cession du capital à un tiers n'a jamais été posée, ndlr]. "Ces dernières n'avaient pas l'habitude de faire appel à des consultants en stratégie externes, et procédaient plus par petites réorganisations successives en interne. Mais la conjoncture a ouvert de nouvelles opportunités pour nous", explique Yves Morot-Sir
  2. Grands groupes
  3. Gouvernances spécifiques comme les coopératives, les délégations de service public, les collecteurs du "1% logement"

Quand les entreprises clientes sont quand même d'une certaine taille, ce sont les finalités des missions qui varient : "pour le déploiement de la coupe de l'America en Europe, l'organisation de la Coupe du Monde de football en France ou des jeux olympiques à Albertville, ou pour tout autre mission de déploiement industrielle ou de services, nous sommes toujours dans une logique de recherche de territoires et de déploiement à l'échelle nationale", raconte Pascal Gustin.

"Nous avons une approche plus régionaliste, pour le compte de PME ou d’ETI, dans le cadre de missions de stratégie, ou alors pour des opérations collectives lorsqu’une collectivité territoriale souhaite aider au financement d’une dizaine d’entreprises locales d’un coup", complète Jean François Lecole.

La "province" : un argument de vente ?

Ce dernier ne croise d’ailleurs que très rarement les poids lourds parisiens dans des appels d’offres émis dans les régions. « Sauf dans les cas où il s’agit d’appliquer des choix stratégiques décidés dans les maisons mères. Une fois, nous avons travaillé avec McKinsey pour l’évaluation d’une politique publique. Mais là aussi 95% des décideurs sont à Paris », raconte Jean-François Lecole. « On ne chasse pas sur les mêmes terres », résume-t-il. "Nos concurrents, par exemple Capgemini Consulting ou McKinsey, interviendront beaucoup plus sur des réorganisations de process et du lean management. Ils jouent un rôle d'organisateur", confirme Yves Morot-Sir. A ces derniers pourront s'ajouter les divisions stratégie des "big four" de l'audit.

Joint par téléphone, Capgemini Consulting explique qu'aucun consultant en stratégie n'est basé hors de Paris mais que les équipes peuvent se déplacer.

Pour Jean-François Lecole, "ne pas avoir de bureau à Paris suppose de prendre le TGV à 6 heures du matin pour assister à une réunion à 9h. Bien sûr on ne peut pas se limiter à Aurillac ou à la Lozère, mais à Nantes ou Lille, la donne est différente. Il y a une raison commerciale derrière ce positionnement mais aussi culturelle et sentimentale. Prenez par exemple Fleury Michon, dont le siège est à Pouzauges en Vendée. À niveau de compétences égal, ils feront bien plus volontiers appel à notre bureau de Nantes qu’à des consultants parachutés de Paris. Il y a une solidarité provinciale tacite qui prend le pas".

Une analyse que corrobore Yves Morot-Sir : "Les ETI en province nous achètent parce que nous travaillons avec de grands groupes, et ces derniers viennent à nous dans l'optique de retrouver une âme entrepreneuriale digne d'une PME. C'est ce que me disait un grand groupe parisien qui nous avait choisis parce que nous étions un cabinet provincial. Tout l'enjeu est donc de valoriser commercialement ce positionnement".

Pascal Gustin, P-DG Algoé

Attention aux archaïsmes cependant sur Paris et sa province, alerte Pascal Gustin. "Nous n'en faisons pas un argument commercial. Nous opposons à la stature mondiale des plus grandes marques, une logique régionale. Si un client souhaite anticiper l'attitude des consommateurs chinois, effectivement il faudra les rediriger vers le BCG et consorts qui ont les équipes et les bases de données pour traiter ces questions à l'échelle internationale. Nous sommes, nous, dans une logique de territoires, dont Paris n'est que l'une des composantes".

Un enjeu plus RH que commercial. Exemple : McKinsey à Lyon

Et si le déclencheur n'est pas philosophico-commercial, il sera bêtement humain. "Les plus grands cabinets se rendent compte que pour fidéliser leurs consultants, notamment les femmes, les salaires ne suffisent plus à compenser les 70 heures de travail par semaine,  le temps de transport et les difficultés de garde des enfants. S’ils ne montrent pas plus de flexibilité géographique, ils pourraient perdre certains de leurs collaborateurs », explique Jean-François Lecole. C’est d’ailleurs dans cette logique plus que dans une démarche de conquête commerciale régionale que le bureau de McKinsey à Lyon aurait été ouvert.



Par Benjamin Polle pour Consultor, portail du conseil en stratégie- 27/08/2012

Benjamin Polle
23 Aoû. 2012 à 12:27
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