Pendant que PwC tente d’avaler Booz, EY digère Greenwich Consulting

 

La planète conseil ne tourne pas seulement autour des grandes opérations censées transformer radicalement le paysage du secteur

Avant que PriceWaterhouseCoopers n’annonce fin octobre la signature d’un accord avec Booz en vue d’un rachat, EY avait réalisé, cet été, l’acquisition de Greenwich Consulting.

 

Jérémy André
13 Nov. 2013 à 14:30
Pendant que PwC tente d’avaler Booz, EY digère Greenwich Consulting

 

Goutte d’eau et grain de sable

Ce cabinet, fondé en 2001 à Paris, s’était spécialisé dans le conseil en management sur des questions marketing et IT pour les télécoms et les médias. Avec 25 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012, neuf bureaux (Düsseldorf, Lisbonne, Londres, Luanda, Munich, New York, Paris, São Paulo et Stockholm), pas plus de 130 consultants, dont 80 en France, GwC est une minuscule goutte d’eau dans l’océan d’un Big Four : il faut ici rappeler qu’EY, en 2013, c’est 25,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 167 000 employés dans le monde, et en France, parmi les 4500 employés, 700 font partie de la branche conseil EY Advisory qui réalise 263 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit 33,8 % des 778 millions du CA pays.

L’acquisition d’EY serait donc totalement anecdotique si plusieurs éléments n’avaient retenu l’attention,qui peuvent permettre d’éclairer la logique de développement des Big Four dans le conseil, mieux que l’analyse d’un énorme deal.Partons de cette observation générale : Greenwich est spécialisé dans les télécoms ; or, EY a audité récemment en France, d’après ses rapports de transparence 2012 et 2013, France Télécom, Bouygues et SFR ! Autrement dit, l’acquisition revient à tuer le business de la cible. Ce qui pose deux questions : pourquoi le Big Four ne semble-t-il accorder aucune importance aux problèmes posés par les conflits d’intérêts ? Et pourquoi les équipes de Greenwich acceptent-elles de s’offrir à un prétendant qui leur demande de couper tous les ponts avec leur famille commerciale ?

Par-delà CAC et channel one

« Il y a une part de leur chiffre d’affaires qui concerne des clients pour lesquels nous sommes CAC –dans notre jargon ‘channel one’ –et nous en avons tenu compte dans le deal », reconnaît Éric Mouchous, associé responsable de l'activité conseil d'EY en France, au Maghreb et au Luxembourg.Il a plusieurs arguments à opposer à l’importance de cet « overlap » qu’on retrouve dans toute acquisition d’un groupe de conseil – sans doute rarement à ce niveau. Tout d’abord, les télécoms ne sont pas terres maudites ad vitam aeternam : « Nous ne sommes pas commissaires aux comptes à vie chez un client. » Et pas seulement du fait des nouvelles réglementations qui pourraient accélérer la rotation des CAC. On peut ainsi noter le cas de Maroc Télécom, qui va sortir de l’orbite SFR, avec sa vente par Vivendi. Une fois la cession finalisée, EY Advisory pourra y tenter sa chance.

Éric Mouchous rappelle aussi qu’EY n’est revenu vraiment dans le conseil que depuis 2006 et que la marge de développement reste considérable. « La part de marché qu’on peut avoir en France en commissariat aux comptes dans le CAC 40 est sans doute plus importante que celle qu’on aurait en Angleterre ou ailleurs. Mais, à l’inverse, notre taille est relativement modeste. » Dernier argument pour minorer l’importance de ces questions de conflits d’intérêts : « Les cabinets multidisciplinaires qui ne sont pas des Big Four ont des problèmes analogues entre leurs propres métiers. »

« Nous avons racheté des équipes »

Côté cible, il lui semble que les équipes de Greenwich ont été intéressées par la prolongation et l’accélération d’une volonté d’internationalisation et de diversification mise en œuvre depuis déjà plusieurs années. Les nombreuses ouvertures de bureaux, les expériences de Wight Consulting, branche spécialisée dans les services financiers, et de Kalea Consulting, orientée marketing opérationnel pour la distribution, illustrent ce mouvement – quoique certains détails semblent montrer que ces tentatives n’ont pas toujours été couronnées de succès. Le recrutement, en 2012, de Nicolas Clinckx, ancien d’Oliver Wyman, spécialiste des utilities, avait participé aussi à ce mouvement. Là encore, la question des conflits d’intérêts ressurgit, puisqu’EY audite GDF-Suez, encore une fois un ancien grand compte de Greenwich Consulting.

Éric Mouchous résume : « Nous avons racheté des équipes, hyper spécialisées et hyper compétentes. » Tout l’enjeu étant ensuite de fidéliser et de retenir des individus très mobiles. « Est-ce que les gens vont se sentir bien ? Est-ce qu’ils vont être motivés et parier sur leur avenir chez EY ? » Une certitude que l’on peut beaucoup plus facilement ancrer à l’échelle d’un petit cabinet comme Greenwich et dans le cadre local où les managers entretiennent des relations personnelles directes.

Le contraire donc d’une énorme opération comme la fusion PwC-Booz. Est-ce que ce mariage peut marcher ? « Je ne sais pas. Ce ne sont pas des intégrations simples. » Tout en reconnaissant que son groupe a examiné, au niveau des équipes EMEA, le dossier Roland Berger, Éric Mouchous ne paraît pas convaincu. En général, concernant ce type d’opérations de croissance des Big Four, « si c’est ajouter une sister company qui continue à vivre comme avant, je ne suis pas très sûr que le business plan soit viable. » Plus qu’une vision du conseil qui ferait la part belle aux perspectives de convergences globales entre Big Four et autres, il lui semble que ces opérations répondent à des enjeux locaux. « Sur Paris, Booz, plutôt qu’un bureau, c’est une staff location managée depuis ailleurs. À l’inverse, peut-être que cela donnait des positions fortes aux US ou ailleurs. »

Une approche régionale plus pertinente sans doute pour expliquer les diverses stratégies de croissance. Plus que de développer son activité de conseil, l’acquisition de Booz par PwC comblerait le gap qui le sépare de Deloitte, bien mieux implanté aux Amériques. Et pour qu’un Big Four conclue avec Roland Berger, encore faudrait-il qu’il souhaite se renforcer décisivement en Europe, pari qui paraît peu d’actualité dans le contexte économique du continent !

Jérémy André pour Consultor, portail du conseil en stratégie- 13/11/2013

 

Jérémy André
13 Nov. 2013 à 14:30
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