Les (bonnes et mauvaises) raisons de la ruée vers Amazon, Facebook et Uber

Le constat est sans appel. Les géants du digital attirent par bataillons entiers des consultants en stratégie. C’est l’une des portes de sortie privilégiées. Pourquoi un pareil engouement ? Enquête.


10 Oct. 2018 à 14:27
Les (bonnes et mauvaises) raisons de la ruée vers Amazon, Facebook et Uber

Il n’est pas dur de retrouver leur trace tant ils sont nombreux. Et ce à tous les niveaux, de junior à plus senior.

Exemples : Emmanuel Marill, un ancien senior consultant de Roland Berger (jusqu’en 2011) est ensuite passé par Groupon et Facebook, avant de rejoindre les fonctions de directeur général France et Belgique d’Airbnb qu’il occupe encore aujourd’hui.

Toujours chez Roland Berger, Alexandre Eruimy, ex-project leader (jusqu’en 2015), est parti pour Google avant de monter sa propre start-up. Depuis Oliver Wyman, c’est Olivier Girard, un ancien senior associate, qui a rejoint Amazon. Idem de Romain Voog, ancien consultant de Bain et project leader au BCG qui a fini comme président d’Amazon pour la France.

Des transferts par légions

Comme dit un ancien Bainie passé chez Amazon, qui s’exprime sous condition d’anonymat, toutes les sociétés de conseil en stratégie et en management sont dans le viseur. Pour preuve, « un tiers » du staffing du siège français de Clichy vient de là.

Dans l’équipe d’Amine Berrada, operations manager chez Uber à Paris depuis janvier 2018, « une personne sur deux » vient du conseil en stratégie. Les anciens McKinsey, Bain, BCG, Oliver Wyman côtoient les ex-Amazon, Jumia et Groupon.

Le parcours d’Amine Berrada est représentatif des raisons d’un pareil engouement. Sorti de Centrale Paris en 2014, il avait le sentiment d’avoir fait amplement le tour du métier au bout de quatre années chez L.E.K. « C’était soit s’accrocher encore deux ans pour espérer devenir manager, soit aller voir ailleurs », raconte-t-il.

Mais les « ailleurs » sont eux aussi bien connus : « Private equity dans un fonds, intégrer le département stratégie d’une grosse entreprise ou consultant dans un autre cabinet », comme dit David Meyer, qui vient lui aussi de quitter L.E.K. après une première vie chez Advancy, pour rejoindre également Uber à Paris.

« Uber éveillait ma curiosité. Je ne savais pas précisément ce qu’ils faisaient alors qu’on sait très bien ce qui se passe dans les fonds ou les grandes entreprises», raconte David Meyer, qui est aujourd’hui operations and logistic manager parmi la centaine de salariés que compte l’activité historique de VTC au siège d’Uber rue Charlot (3e arrondissement de Paris).

Plus prosaïquement, les sirènes des Gafa jouent à fond, jusque chez de jeunes gens pourtant très cartésiens. « Ce n’est pas difficile d’attirer l’attention quand on est Facebook ou Amazon », dit l’ancien Bainie. Puis les réseaux des cabinets de conseil font ensuite merveille pour battre le rappel.

Enfin s’approprier en profondeur une activité

Tous ceux qui sautent le pas ont un seul mot à la bouche : « ownership ». Après des années à rester au stade de la recommandation, se voir confier la responsabilité ou le développement d’une activité en propre est très gratifiant – encore plus qu’ailleurs.

Ainsi Amine Berrada s’occupe d’une équipe d’une quinzaine de personnes pour le compte d’Uber Eat, la branche la plus récente de livraison de nourriture à domicile. Il a en charge le développement d’un portefeuille de dix villes dans le nord et le nord-est de la France, soit un pool de 5 000 livreurs et un chiffre d’affaires de plusieurs millions d’euros.

Guillaume Cavaroc, un ancien project manager de Roland Berger, également brièvement passé par Simon-Kucher et Stratorg, accompagne les grands groupes de distribution comme Carrefour dans leur stratégie de communication sur Facebook.

Chez Amazon, d’anciens consultants en stratégie pourront typiquement s’occuper de l’optimisation du « dernier kilomètre », c’est-à-dire la logistique du réseau de points de distribution de proximité, ou agir sur les mix de produits disponibles, leur prix, etc.

Données, culture, flexibilité... : pour les anciens consultants en stratégie sont appréciés

Car chez les Gafa, comme de plus en plus dans le conseil, la donnée est reine. Les profils quantitatifs et analytiques comme ceux qu’on trouve par centaines dans le conseil en stratégie plaisent énormément. Les environnements de travail sont également très semblables.

« Tout va très vite. Il n’y a jamais de N+1 clair, les règles de reporting sont floues et tout le focus est sur le résultat », témoigne notre source. Une ambiance mouvante où on demande un peu tout et rien aux nouveaux entrants et où les profils hautement adaptables des consultants en stratégie sont là aussi très bienvenus.

Ajoutez une dose du rêve d’omnipotence de la « tech » et de ses vertus dans tous les secteurs, une pincée de « coolitude » d’entreprises dont on peut avoir l’impression qu’elles inventent le travail de demain, et vous avez une grosse partie des raisons de la course au Gafa chez les anciens consultants.

Pas vraiment la quille

Attention pourtant : ce n’est pas parce que ces profils sont très appréciés qu’ils sont attendus comme des messies. « Quand on arrive, on est balancé à la mer et sauve qui peut », se souvient Amine Berrada. Alors que David Meyer se rappelle ne pas avoir compris un mot sur trois lors d’une de ses premières réunions tant les acronymes et les indicateurs étaient nombreux et inconnus.

Chez Uber, il n’y a pas d’« onboarding » – la période d’intronisation dans ses nouvelles fonctions – comme les sociétés de conseil savent si bien le faire. Elles qui doivent gérer des afflux permanents de nouveaux collaborateurs.

« Clairement, personne n’est attendu et penser le contraire peut être très déceptif. Tout le monde est très smart comme dans la stratégie. Les titres sont souvent dégradés par rapport aux “VP” ou aux “directeurs” qu’on peut trouver ailleurs. On se retrouve “product manager” avec une micro-équipe à gérer alors qu’on aurait pu être consultant senior ou manager avec une équipe plus importante. Comme consultant, on est habitué à donner des conseils. Là, on se retrouve dans une position d’humilité. Le gap est important », commente notre source anonyme.

Ce sont là quelques-unes des nombreuses illusions qui alimentent les transferts vers les géants du digital. À commencer par le « travailler moins pour gagner autant ». Faux. Les horaires ne sont pas si légers et les journées ont tendance à être plus denses. « On est à bord d’une start-up qui avance à 200 kilomètres par heure. On doit accepter d’être staffé sur des missions qui sortent de notre périmètre », dit Amine Berrada.

Côté salaire, il faut compter entre 10 et 30 % de moins en fixe avec la possibilité de combler ce gap par des attributions de parts en guise de rémunération variable. Pas inintéressant quand, par exemple, les actions d’Amazon s’échangeaient à moins de 600 dollars en 2014 et en valent plus de 1 600 aujourd’hui.

Les embauches ? On pourrait les croire abondantes et peut-être plus aisées. Chez Uber, Amine Berrada a dû se frotter à six entretiens et plusieurs business cases. Autre frein : le plafond de verre auxquels sont confrontés les salariés européens de groupes intrinsèquement américains. « Il existe, c’est sûr. Une très grosse partie des salariés sont à San Francisco », dit David Meyer.

« Mieux vaut commencer jeune. Car une fois senior, les opportunités se font rares. Ou alors, il faut partir à Seattle [le siège social] », selon notre source anonyme passée par Amazon.

Comment rejoindre des entreprises aux réputations exécrables

Vient, enfin, le sujet le plus délicat : Amazon, Facebook et Uber, Google et Apple dans une moindre mesure, ont une réputation exécrable, en Europe tout du moins. Traitement indigne des chauffeurs et des livreurs pour Uber, dumping vis-à-vis des chauffeurs de taxi classiques, accidents de travail à répétition dans les entrepôts d’Amazon…

« Nier l’humain qui est en vous » (sic), lâchait même un ancien Amazon, dans un article du JDD de mars. « Créez une alerte Uber dans Google News et vous recevrez entre dix et quinze mails par jour. Travailler chez Uber est un tourbillon quotidien dont je n’avais pas idée avant d’y entrer qui peut être difficile pour le moral », confesse Amine Berrada.

Pourtant, tous nos interlocuteurs – aux sièges de ces groupes – sont convaincus du bien-fondé des organisations avec lesquelles ils collaborent, reconnaissant y avoir réfléchi avant d’entrer. « On n’est pas chez L’Oréal, dans le glamour. Amazon, c’est du retail et de l’exécution », appuie notre source, niant tout « problème éthique en interne ».

« La vision extérieure n’est pas belle », reconnaît Amine Berrada. Lui préfère se concentrer sur les efforts d’Uber pour améliorer le quotidien de ses chauffeurs et livreurs, comme les polices d’assurance extensives que l’entreprise leur propose.

Il n’empêche. Les anciens consultants ne restent pas des lustres chez les Gafa, en moyenne moins de cinq ans, voire beaucoup moins parfois et les taux de rotation sont plutôt élevés.

La ligne sur le CV se revend bien

Peu importe, la ligne sur le CV se revend bien ensuite, par exemple pour monter sa propre société. Ou pour retourner dans le conseil ? Chez Uber, rue Charlot, il n’est pas rare que des chasseurs de têtes appellent pour staffer des postes de consultants. Apparemment, McKinsey et Bain sont bons clients.

Benjamin Polle pour Consultor.fr

10 Oct. 2018 à 14:27
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