"Prix de transfert", à la frontière de la stratégie et du juridique
Les évolutions réglementaires en matière de prix de transfert (détermination du prix de facturation entre deux filiales d’un même groupe situées dans deux pays différents) accordent une place toujours plus prépondérante à l’analyse économique.
Pour y répondre, entreprises et prestataires de conseil cherchent à élargir leurs équipes. Explications et témoignages.
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Sensible parce qu’associée à la lutte contre l’optimisation fiscale, stratégique pour tous les groupes d’envergure internationale parce qu’elle concerne le système de refacturation entre filiales et in fine le montant des bénéfices imposables dans chaque pays, l’expertise en matière de prix de transfert (ou prix de cession interne) est une compétence des plus précieuses sur le marché hexagonal.
Pour les multinationales, la problématique s’inscrit dans une approche globale de gestion des flux intra-groupe, et les enjeux financiers en termes de réputation peuvent être considérables pour celles qui pratiquent l’évitement fiscal.
Fer de lance de la lutte contre les pratiques abusives en matière de prix de transfert, l’OCDE vise aujourd’hui les entreprises réalisant plus de 750 milliards de dollars de chiffre d’affaires, et notamment les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Une offensive qui, si elle est concluante, est susceptible de constituer une première étape avant une généralisation à l’ensemble des entreprises.
« Les réglementations en matière de prix de transfert évoluent et les obligations documentaires associées s’accroissent dans la plupart des pays », explique Emmanuel Llinares, Head of Global Transfer Pricing du cabinet de conseil en économie Nera (groupe Oliver Wyman), et membre du EU Joint Transfer Pricing Forum, le groupe d’experts qui assiste et conseille la Commission européenne sur ces questions.
Cette documentation, qui permet de justifier que les prix de transfert pratiqués par l’entreprise sont conformes au principe de pleine concurrence, comporte des informations d’ordre juridique, économique, fiscal, comptable et méthodologique quant aux modalités de calcul. Or l’importance qu’accordent désormais les nouvelles réglementations à ces différentes composantes évolue.
« Les changements introduits en 2015 par l’OCDE dans son rapport BEPS, dont les actions 8 à 10 concernent les prix de transfert, donnent de plus en plus d’importance à l’analyse économique, poursuit-il. La diffusion et la mise en œuvre progressive des principes de l’OCDE entraînent donc à la fois une augmentation de la demande de conseil en prix de transfert et une hausse des besoins en analyse économique. C’est une tendance globale. »
Autre conséquence de cette évolution réglementaire : « En France, l’administration est désormais plus “attentive” à la détermination des prix de transfert et nous observons aussi une augmentation du besoin d’analyse économique dans le contexte de contentieux fiscaux. »
Les équipes s’étoffent
Pour répondre à ces nouvelles orientations de la réglementation, entreprises et cabinets de conseil renforcent leurs équipes Prix de transfert, en taille et en compétences analytiques. Du côté des cabinets de conseil, plusieurs types d’acteurs se partagent le marché hexagonal. « Les cabinets de conseil multiservice de type Big Four ; des cabinets d’avocats qui fonctionnent en réseaux à l’international, tels que CMS Bureau Francis Lefebvre, Arsene Taxand ou Baker & McKenzie ; des cabinets de niche qui ne font que du prix de transfert ; et des cabinets de conseil en économie tels que Nera. La proposition de valeur de chaque type d’acteur est différente, ce n’est pas une offre homogène », pointe-t-il.
Reste que cette reconfiguration du marché français n’en est encore, selon lui, qu’à un stade intermédiaire : « La demande va continuer à croître et nous pensons que l’offre va continuer de se spécialiser. »
Économistes et anciens consultants en cabinet d’avocats
La présence au sein de l’équipe Prix de transfert du cabinet d’avocats Taj, une entité du réseau Deloitte, de deux consultants issus de cabinets de conseil en stratégie traduit cette volonté d’étoffer son offre avec des compétences analytiques. « Dernièrement, les composantes économiques et stratégiques ont pris de plus en plus d’importance en matière de prix de transfert ; or la complémentarité des métiers et des compétences fait partie de la culture de Taj : ainsi, dans notre équipe Prix de transfert, qui compte une trentaine de personnes, les deux tiers ne sont pas avocats », explique Grégoire de Vogüé, aujourd’hui associé du cabinet d’avocats, au sein duquel il a démarré sa carrière en qualité d’avocat fiscaliste avant de rejoindre le Boston Consulting Group puis Ares & Co.
Un parcours « très atypique » qui « a beaucoup apporté à mon métier », observe-t-il. « Le conseil m’a permis d’acquérir une bonne capacité analytique, et j’essaie de transposer aujourd’hui les codes du conseil dans ma pratique juridique et fiscale ».
« Certains domaines du droit sont très économiques parce que la preuve se fait moins sur la base d’arguments juridiques que sur celle d’arguments de fait, poursuit Julien Pellefigue, lui aussi associé du cabinet d’avocats Taj, où il a démarré sa carrière en qualité d’économiste avant de rejoindre A.T. Kearney puis Tera Consultants. C’est le cas en matière de prix de transfert, mais aussi en droit de la concurrence et régulation, en matière de contentieux commerciaux et en droit public économique. »
Autant de dossiers pour lesquels le cabinet d’avocats peut faire appel à ses compétences, même si la plus grande partie de son activité reste consacrée aux prix de transfert. Et s’il reconnaît que son parcours est peu commun dans l’Hexagone, il pense qu’il est « probablement plus fréquent chez les Anglo-Saxons, car les cursus de droit et de conseil y sont moins compartimentés qu’en France, où il y a très peu de passerelles entre ces deux mondes ».
Un itinéraire professionnel original, qui lui apporte beaucoup de satisfaction : « J’aimais beaucoup le conseil en stratégie et j’aime beaucoup ce que je fais aujourd’hui : c’est un travail très stimulant intellectuellement, qui demande davantage d’expertise que de conseil, et je pense que cela me correspond mieux. »
Miren Lartigue pour Consultor.fr
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