Éthique et conseil : le sujet qui fait peur

Affaires et morale ne font pas toujours bon ménage. Le cynisme du business heurte certaines valeurs.

Les redresseurs de torts guettent, prêts à crucifier le premier manquement à l'éthique, concept flou et fourre-tout par excellence. Le consultant en stratégie, au cœur même du système, en fait régulièrement les frais. À tel point que le sujet frôle le tabou et que les portes se ferment quand on l'évoque.

29 mai. 2015 à 22:37
Éthique et conseil : le sujet qui fait peur

Chacun voit l'éthique à sa porte

Arthur D. Little est le dernier en date à avoir fait les frais de l'angélisme de certains journalistes. À l'issue d'une longue enquête à charge contre l'industrie du tabac sur France 2, l'un de ses partners s'est vu habillé du costume du grand méchant capitaliste. Un sourire gêné, un montage habile et voilà le consultant dressé au rang de cynique sans cœur. Sa faute ? Une étude rédigée pour le compte de Philip Morris sur l'impact du tabac sur l'économie d'un pays. Les conclusions font froid dans le dos mais n'étonnent personne : un fumeur mort coûte moins cher qu'un fumeur malade.

André*, vieux baroudeur du conseil, s'emporte quand on évoque ce reportage : « C'est totalement hypocrite. C'est une étude d'impact, pas une recommandation. On tire sur le messager, mais il n'est pas responsable ». André n'est pas pour autant un infâme requin des affaires. Il avoue même avoir refusé des missions parce qu'elles « heurtaient [ses] convictions profondes ». Mais pas question pour autant de témoigner sous son nom propre. « C'est un sujet très sensible et l'on passe vite pour un salaud sous la plume des journalistes. »

Même conclusion pour Bertrand, managing director d'un cabinet français : « Il y a une certaine idéologie dans le Landerneau journalistique », précise-t-il. Selon Bertrand, « implicitement, ce qui pose problème, ce sont les sommes d'argent qu'il y a derrière. Depuis très longtemps, ce type d'études existe dans le monde universitaire, mais elles ne provoquent pas les mêmes remous ». Un autre évoque Futuribles. La revue de prospective a consacré son numéro de janvier à la valeur de la vie humaine sans susciter l'indignation. Pour ce consultant expérimenté, « ce qui gêne, ce n'est pas tant l'information que les décisions que l'on peut prendre ».

Y a pas d'éthique hélas, c'est là qu'est le hic ?

Le même témoin précise que « l'éthique apparaît au moment de la mise en œuvre des recommandations ». Selon lui, « il ne faut pas s'interdire d'explorer tous les champs. Les dirigeants ont besoin d'avoir toutes les données en main pour prendre des décisions ». Ce partner d'un cabinet français s'imagine très bien refuser une mission mais pas a priori : « Il peut parfois y avoir un malaise, par rapport à une éthique propre, toute personnelle. » Il pense notamment au sujet de l'avortement, qui pourrait le heurter : « Dans ce cas, un autre partner pourrait prendre la mission.

Quoi qu'il en soit, elles sont toutes validées par le CoDir, il y aura au préalable une discussion entre nous ». Le cabinet ne refuse donc pas de sujet par principe. À chaque partner de prendre ses dispositions. De toute façon, il croit difficilement à cette possibilité : « Pour gagner une mission, il faut se battre et donc y croire. La sélection se fait naturellement ».

Business is business... ou presque

Rares sont les cabinets qui ont formalisé une politique en matière d'éthique. Un jeune cabinet français travaille justement à la rédaction d'une charte RSE. « Nous ne sommes pas prêts à prostituer nos valeurs », assure le dirigeant du bureau parisien. Le futur document comportera un volet « éthique des affaires ». Pas de révolution en vue pour autant. Le texte se contentera de rappeler les valeurs du cabinet, les principes de base du business et le nécessaire respect de la loi. Un autre témoin parle de politique non formelle : « Nous ne nous interdisons aucun secteur a priori ». Armement, tabac, pharmaceutique, il n'y a pas d'industrie bannie. « Pour nous, l'éthique tient plus au comportement de l'entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes : salariés, fournisseurs et clients. » Sur ce point, il est intransigeant. Jamais il ne fera de recommandation qui dégraderait le service au client, même si elle rapportait de l'argent à court terme. Le consultant insiste à plusieurs reprises. Et c'est là au final que réside l'éthique du conseil. Dans ses valeurs propres et dans son intégrité. Pour le reste, business is business.

*La plupart des témoins ayant choisi de répondre anonymement, aucune identité n'est dévoilée dans cet article.

Gillian Gobé pour Consultor.fr

29 mai. 2015 à 22:37
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