Développement international : l'équilibre précaire entre réseau mondial et culture locale
Le développement international peut rapporter gros. Ceux qui ont réussi le pari en mesurent chaque jour les retombées : un meilleur service aux clients français, des perspectives de nouveaux contrats ou encore une meilleure attractivité pour les futurs consultants.
Les cabinets français auraient tort de se priver. Encore faut-il savoir comment procéder. Pour ce deuxième article consacré à l'internationalisation, Consultor.fr a choisi d'étudier les formes que peut prendre l'expatriation des cabinets français de conseil en stratégie.
« Avoir un réseau organique pour conserver l'ADN du cabinet »
« Rien de mieux qu'une croissance externe si elle est bien menée. Les résultats se font day one. » Le constat est asséné par Stéphane Eyraud, partner chez Chappuis Halder. Malheureusement, cette solution est coûteuse et rares sont ceux qui peuvent l'adopter. Elle est réservée aux entreprises riches en fonds propres et en capacité d'emprunt. Au commencement, Chappuis Halder a donc choisi de partir à l'aventure from scratch. Depuis la création du premier bureau à Hong Kong en 2008, le modus operandi est toujours le même. « Nous envoyons d'abord l'un de nos consultants à haut potentiel, explique Stéphane Eyraud, qui mène, la plupart du temps, une mission sur place pour un client ». En parallèle, il travaille à l'implantation du cabinet dans le pays. Envoyer un « salarié maison » sur place, c'est s'assurer de déployer un modèle unique. Pour Stéphane Eyraud, « l'idée, c'est d'avoir un réseau plutôt organique pour conserver l'ADN du cabinet ».
Michel Jacob, managing partner de Roland Berger France, Belgique, Canada, Espagne, Italie, et Maroc, partage cet avis : « Nous préférons envoyer l'un de nos consultants que faire appel à quelqu'un que nous ne connaissons et qui ne nous connaît pas non plus ». Pour ouvrir des bureaux au Maroc et au Canada, Roland Berger a choisi de dépêcher l'un de ses salariés. Le consultant n'est pas seul pour autant. Michel Jacob évoque « un éclaireur, derrière lequel l'armée suit ». Le partner file la métaphore militaire. La France est « le porte-avions qui fournit la force d'appui et la logistique nécessaire ». Les partners multiplient les déplacements pour susciter des leads ou apporter leur expertise. Les fonctions support françaises (RH, IT, Finance ...) accompagnent les nouveaux bureaux. C'est ainsi que les équipes de Roland Berger à Paris continuent d'accompagner le bureau marocain, six ans après son ouverture. Avec une telle force de frappe, les cabinets peuvent se projeter dans un autre pays sans intégrer de ressource extérieure.
Les différences culturelles, sources d'échec
Cette méthode n'est pas sans risque. Certains pays ont des cultures difficiles à appréhender pour un Européen. Les différences entre les peuples peuvent créer des incompréhensions, qui mènent à l'échec. Un cabinet de la place parisienne a connu cette désillusion. L'un de ses partners accepte de témoigner, sous couvert d'anonymat. « Nous nous sommes lancés au Moyen-Orient. La première rencontre s'était très bien passée, le "prospect" nous avait dit de continuer ». Les consultants peaufinent leur offre, les réunions se multiplient. La mission est sur le point d'être lancée puis, « au moment de signer, nos contacts ont tout annulé ». Le partner s'en amuse aujourd'hui. « Le traducteur qui nous accompagnait lors du premier rendez-vous n'était pas étonné. Il avait vu que le premier "oui" était un refus poli. Nous étions dans un pays où l'on ne dit pas "non" ouvertement ».
Roland Berger avait prévu ce genre de déconvenue en s'installant à Montréal. Le cabinet choisit donc de se faire accompagner par des advisors locaux. Leur rôle, pour Michel Jacob, est de « décoder les codes business locaux ». Au Canada, l'advisor a non seulement apporté son carnet d'adresses, mais il a surtout permis d'éviter les pièges. Il connaissait les petits détails dans lesquels se cache le diable. Certains mots utilisés en France sont signe d'arrogance au Québec. Le conseiller local les bannit du vocabulaire des consultants. Les slides, sur les conseils de l'advisor, se font plus courts, moins denses. Autant de pratiques locales que ne peuvent pas connaître des Français. « Mais cela disparaît très vite, d'après Michel Jacob. Au bout de deux à trois missions, nous maîtrisons très bien les spécificités de la culture business locale ».
L'intégration des entreprises partenaires, un processus à long terme
Advancy ne risque pas les quiproquos interculturels. Le cabinet a construit son réseau grâce à ses partenariats. Les premières missions sur place sont assurées en collaboration avec une entreprise locale. Ce sont des consultants du cru qui accompagnent les premiers pas dans un pays. Éric de Bettignies, le fondateur, a une approche pragmatique : « Nous avons une quinzaine de partenaires à travers le monde. Quand une mission débute, nous ne sommes pas perdus ». Et lorsque les demandes des clients se multiplient, Advancy se pose alors la question d'une implantation permanente.
« Si aujourd'hui je veux accélérer notre installation dans un pays, explique le dirigeant, la démarche prend très peu de temps parce que, depuis plusieurs années, je travaille avec ce pays ». L'intégration prend de trois semaines à trois mois, pas plus. D'abord parce que « c'est un processus continu. Les partenariats soft deviennent au fur et à mesure des partenariats durs puis de véritables intégrations ». Pour autant, rien n'est systématique. Un partenaire d'Advancy n'a pas toujours vocation à s'intégrer au réseau. Le cabinet s'assure d'abord que les nouveaux arrivants vont coller à la culture maison.
Quelle que soit la forme juridique, ce qui compte c'est l'homogénéité
Éric de Bettignies n'en démordra pas, « il y a un Advancy mondial et c'est très important, c'est ce que nos clients achètent ». Il faut alors veiller à construire cette entité. Il y a en permanence six à huit consultants parisiens en mission dans un autre pays. Les salariés des entreprises nouvellement intégrées viennent de leur côté passer quelques semaines en France. « Ça crée une vraie culture commune », conclut Éric de Bettignies. Car chaque structure a ses valeurs, ses méthodes et son mode de communication. L'ouverture de multiples bureaux risque de les diluer et de mettre en danger le fonctionnement de l'entreprise.
Stéphane Eyraud l'avoue, Chappuis Halder a connu « quelques psychodrames au début ». Toute organisation, quelle qu'elle soit, a fait l'expérience des mails mal interprétés ou maladroitement formulés. Mais lorsqu'ils sont lus à 12 000 kilomètres de distance, leur contenu peut prendre parfois une ampleur démesurée. Le partner à l'autre bout du globe peut se sentir mis à l'écart des décisions. Stéphane Eyraud a retenu la leçon : « Quand on grossit, il y a des habitudes à changer ». Finies les décisions prises entre deux portes, il faut « éviter le syndrome où tout se décide entre founders, il faut arrêter de travailler entre copains ». Chappuis Halder a dû discipliner son mode de gouvernance, s'imposer des procédures et des normes. Il a fallu organiser des rencontres entre les hommes et les femmes qui travaillent ensemble à distance. Désormais, le cabinet programme au moins trois séminaires par an entre les différents partners. Ensemble, ils partagent leur quotidien, se forgent une culture commune. C'est peut-être la principale conclusion de ces expériences. Peu importe finalement la forme juridique que prend le développement international, le secret de la réussite, ce sont les ponts que sauront jeter les dirigeants entre les différents continents.
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