Les deux faces de Janus

Ingénieur ou école de commerce : quel recrutement ?


50/50. C’est l’objectif à terme affiché par la plupart des cabinets sur la question du recrutement des profils ingénieurs et des profils écoles de commerce. Mais les deux cursus n’apportent pas la même chose aux cabinets et ils ne se recrutent pas de la même manière.

19 mai. 2014 à 17:08
Les deux faces de Janus



À chacun sa spécialisation

« Autant de diplômés d’écoles de commerce que d’écoles d’ingénieurs, tous les ans. Ça fait partie des équilibres que j’essaie de respecter, au même titre que l’équilibre des recrutements entre les hommes et les femmes, affirme Sylvie Jaulin, directrice marque employeur et développement professionnel de Kea & Partners. Pas de préférences en tant que telles de notre part. Mais elles existent et apparaissent rapidement, du côté des consultants, non pas sur les compétences mais sur les appétences. » En d’autres termes, les consultants issus des écoles de commerce et ceux issus des écoles d’ingénieur n’ont pas les mêmes souhaits lorsqu’ils décident d’entrer dans le conseil.

Les premiers sont généralement plus pointus sur l’aspect business du métier. Parce que leur formation prévoit une année de césure et plusieurs stages, ils peuvent se familiariser avec l’entreprise et son fonctionnement. Les seconds, en revanche, appréhendent plus facilement les problématiques liées à l’industrie. « Les diplômés d’écoles de commerce sont plus rapidement opérationnels, mais ceux des écoles d’ingénieurs s’avèrent aussi, sur le long terme, d’excellents profils », résume Valérie Schajer, HR manager chez LEK Consulting.

La distinction peut sembler surfaite, mais elle se vérifie souvent, estiment les responsables de ressources humaines. Il ne s’agit d’ailleurs pas que des compétences inhérentes à leurs formations : les consultants issus des écoles de commerce s’orientent plus spontanément vers les missions en retail ou en marketing tandis que les consultants avec un background d’ingénieurs privilégient les missions dans l’industrie.

Une distinction qui fait écho aux types de missions et de secteurs dans lesquels les cabinets se spécialisent. Kea & Partners, par exemple, vise la parité lors du recrutement parce que les missions de la société nécessitent autant de profils d’ingénieurs que de profils d’écoles de commerce.

À la recherche d’ingénieurs

Chez Chappuis Halder, on cherche davantage d’ingénieurs, dans l’espoir de ramener les effectifs à l’équilibre entre ingénieurs et écoles de commerce, explique le CEO, Stéphane Eyraud : « Pendant les premières années, nous avons recruté majoritairement au sein des écoles de commerce. Aujourd’hui, nous voulons attirer des profils d’ingénieurs notamment parce que notre département de Global Research & Analytic gagne en importance. C’est un département dédié à la modélisation et à la mesure des risques qui demande de fortes compétences en probabilités, en mathématiques, en mathématiques appliquées. Seuls des ingénieurs y travaillent ».

Chappuis Halder prévoit d’embaucher dix-neuf personnes en France, soixante dans le monde, pour l’exercice 2014 et plus de trois cents consultants dans le monde à l’horizon 2020. Pour l’instant, la parité entre écoles d’ingénieurs et écoles de commerce n’est pas atteinte – à 35-65, elle penche en faveur des seconds. Une distorsion que le cabinet entend corriger. Et pour cause, les profils d’ingénieurs ont tout pour plaire : « Nous nous sommes aperçus que sur des sujets de marketing, par exemple, les profils d’ingénieurs se révélaient très performants, affirme Stéphane Eyraud. Ils apportent une complémentarité précieuse. »

Un constat partagé par LEK Consulting qui cherche également à embaucher davantage d’ingénieurs, là aussi pour atteindre l’équilibre. « Nous sommes très présents dans le secteur industriel et l'énergie, confirme Valérie Schajer. Les ingénieurs s’avèrent parfois être plus pertinents, parce qu’ils comprennent instinctivement les problématiques purement techniques des clients. Les profils d’écoles de commerce peuvent être tout aussi excellents, mais ils ont besoin de plus de temps pour appréhender les sujets techniques. In fine, les deux profils sont très complémentaires. »

Adapter les entretiens

La différence entre les deux profils apparaît dès la phase de recrutement. Chez Kea & Partners, Sylvie Jaulin organise les séances d’entretiens en fonction du cursus des candidats : « Dans la mesure du possible, j’essaie de trouver des managers ingénieurs quand nous recevons des candidats ingénieurs, idéalement issus de la même école. Non seulement cette rencontre crée un lien, mais elle permet aussi de mieux comprendre ce que le candidat a réalisé au cours de sa formation. »

Et cela ne s’arrête pas à l’intervieweur. Les DRH doivent également prendre en compte que, contrairement aux candidats issus des écoles de commerce, les ingénieurs n’ont pas été préparés au processus de recrutement particulier des cabinets de conseil. Les questions d’entretiens et les études de cas risquent de désarçonner plus facilement un ingénieur. Les écoles de commerce donnent donc un avantage. Théoriquement, du moins.

Pour contrecarrer les effets de cette sélection naturelle, les DRH s’adaptent et se montrent plus exigeantes avec les écoles de commerce. « Nous construisons les entretiens en fonction du profil, atteste Sylvie Jaulin. Le résultat, c’est qu’à l’embauche, nous nous rapprochons du 50/50. Ensuite, le turn-over peut changer la donne. »

Profils particuliers

Recruter les bons profils n’est pas toujours chose aisée. Un article du Financial Times mettait récemment en exergue le désintérêt des jeunes diplômés pour les services financiers. Un sujet de préoccupation chez Chappuis Halder, spécialisé dans le secteur : « Cette tendance concerne aussi bien les banques, les assurances, que les métiers du conseil, avance Stéphane Eyraud. Recruter les meilleurs profils devient plus compliqué. Malheureusement, les jeunes diplômés perçoivent parfois les services financiers comme un domaine ennuyeux et peu gratifiant. Ce serait dommageable si les jeunes qui viennent des formations d’excellence se détournaient de nos métiers. »

Rafaël Vivier, associé du cabinet d’approche directe WIT Associés (et actionnaire de Consultor), a une opinion plus tranchée. Pour lui, l’équilibre entre profil d’ingénieur et profil d’école de commerce est d’autant plus difficile à atteindre que les ingénieurs ne se destinent pas, en grande majorité, au monde du conseil : « Les écoles d’ingénieurs considèrent encore qu’elles ont vocation à former des ingénieurs, pas des consultants. Il y a encore peu, l’X ne validait pas les stages effectués au sein de cabinets de conseil. Pourtant, les technologies sont devenues centrales dans la stratégie de croissance de la plupart des grands groupes mondiaux. S’ils le pouvaient, les cabinets recruteraient beaucoup plus d’ingénieurs que de commerciaux. »

Alors en dehors des écoles de commerce et des écoles d’ingénieurs, point de salut  ? Au contraire, répondent les cabinets de conseil. Les ingénieurs et les consultants issus des écoles de commerce constituent, sans conteste, l’essentiel du recrutement et les candidats les plus naturels pour les cabinets de conseil. Mais les autres profils ne trouveront pas porte close.

ENA, Sciences Po, Normale Sup… Des viviers de candidats potentiels qui intéressent les cabinets. « Nous venons de recruter un doctorant spécialisé dans l’énergie, indique Valérie Schajer. Ces profils atypiques peuvent être brillants, moins classiques, plus spécialisés. Ils apportent une vraie plus-value, mais l’intégration peut être plus compliquée et elle demande davantage d’investissement. » À la clef, aussi un peu plus de créativité ? In fine, pour les profils atypiques comme pour les profils plus classiques, les cabinets recherchent surtout des personnalités qui sauront s’adapter, mais aussi sortir de leur zone de confort et apporter une valeur ajoutée au cabinet.

 

Lisa Melia pour Consultor, portail du conseil en stratégie

19 mai. 2014 à 17:08
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